Lutte contre Daech: «Les États-Unis sont dans le rôle du pompier pyromane», selon Tahhan

Les États-Unis ont coprésidé la conférence de Rome de la coalition internationale contre l’État islamique*. Mais en ciblant les milices iraniennes et en durcissant les sanctions contre la Syrie, Washington ferait tout l’inverse de ce qu’il faudrait faire pour éradiquer définitivement cette menace, estime Bassam Tahhan, géopolitologue.
Sputnik

Les Américains, désengagés du Moyen-Orient? Même si les GI’s plient bagage, Washington n’a pas disparu, au contraire même.

Après avoir rassuré son allié israélien, retiré plusieurs équipements de la région et transmis le flambeau militaire à la Turquie en Afghanistan, voilà que le chef de la diplomatie américaine exhorte ses partenaires à renforcer la lutte contre Daech*. Au cours de sa tournée européenne, Antony Blinken s’est rendu à Rome pour coprésider la réunion de la coalition internationale le 28 juin pour vaincre l’État islamique*. Cette conférence a regroupé pas moins de 81 pays, avec l’arrivée de nouveaux membres comme la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Mauritanie et le Yémen.

Depuis la défaire territoriale de Daech* à Baghouz en 2019, les membres de la coalition ne s’étaient plus réunis. Voyant la menace djihadiste refaire surface en Syrie et en Irak, les ministres des Affaires étrangères ont conjointement déclaré qu’ils s’étaient «engagés à renforcer la coopération dans toutes les lignes d’effort de la coalition afin de garantir que Daech*/ISIS Core en Irak et en Syrie, et ses affiliés et réseaux dans le monde ne soient pas en mesure de reconstituer une enclave territoriale ou de continuer à menacer nos patries, nos peuples, et intérêts.»

Ce discours sera-t-il suivi d’effet? Rien n’est moins sûr, à en croire Bassam Tahhan, géopolitologue, ancien professeur à l’École de guerre et spécialiste du Moyen-Orient.

«C’est une réunion bidon. C’est un leurre, s’ils voulaient éradiquer les terroristes, ils le feraient. Cette coalition rassemble majoritairement des pays affiliés aux États-Unis avec les pays européens, les monarchies du Golfe et certains pays africains. Dans l’ensemble, ce sont eux qui ont participé à l’émergence de ce phénomène djihadiste. Les États-Unis sont dans le rôle du pompier pyromane», souligne-t-il au micro de Sputnik.

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En effet, plusieurs pays occidentaux et des puissances régionales à l’instar de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, du Qatar, de la Turquie et d’Israël ont facilité l’implantation de cette mouvance djihadiste en Syrie. Intitulée Timber Sycamore, cette opération clandestine, qui avait débuté en 2012, visait à aider les différents groupes rebelles à évincer Bachar el-Assad et à casser son alliance avec Téhéran. Aujourd’hui, la prétendue lutte contre Daech* serait «une vitrine», accuse le géopolitologue. Les États-Unis feraient «tout le contraire de ce qu’ils devraient faire pour vaincre définitivement les terroristes», déplore encore le spécialiste du Moyen-Orient.

Depuis 2020, plus de 1.300 soldats syriens ont été tués par Daech*

Et pour cause, Washington cible les milices iraniennes qui ont elles-mêmes participé à la défaite territoriale de Daech*. «Les ministres ont fermement condamné les attaques continues contre le personnel et les convois de la coalition», a déclaré cette dernière, en référence aux attaques des milices chiites contre les intérêts américains en Irak. De ce fait, l’aviation américaine a bombardé le 27 juin des entrepôts de la milice des Hachd el Chaabi à la frontière syro-irakienne, faisant cinq morts. En pratique, attaquer les soldats chiites revient à combattre les ennemis invétérés de l’État islamique*.

Fortes de leur présence au sol, les forces iraniennes ont permis à la Syrie de reprendre de nombreuses villes clés dans le pays, à l’instar de Deir ez-Zor, Alep et Homs. «En Irak, ils ont dépêché plusieurs milliers de combattants pour reprendre Mossoul», précise Bassam Tahhan. À ce propos, lors d’un défilé militaire à Diyala, près de Bagdad, Moustapha al-Kazemi, le Premier ministre irakien, a remercié les milices pour leur victoire militaire contre le terrorisme. «Vous et les forces de sécurité avez vaincu le terrorisme et avez beaucoup à faire», a-t-il ainsi déclaré le 27 juin.

Dès lors, en affaiblissant les forces affiliées à Téhéran, les États-Unis laisseraient l’État islamique* reprendre plus facilement des forces.

«Cette coalition internationale prétend combattre Daech* en affaiblissant ses ennemis, c’est un peu tiré par les cheveux. Il n’y a qu’à voir qui en sont les membres pour se rendre compte que cette coalition vise à saper l’influence iranienne», juge Bassam Tahhan.

Même si l’organisation a été démembrée, sa capacité de nuisance demeure importante en Syrie. En mars 2019, les forces arabo-kurdes reprenaient Baghouz, le dernier fief de Daech* dans le pays. La défaite territoriale de l’État islamique* n’a pas pour autant signifié la fin des actes terroristes en Syrie.

«Le pays agonise, l’État islamique* profite de cette situation»

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Selon le communiqué officiel de la coalition, les ministres s’inquiètent de «la reprise des activités de Daech*/ISIS et sa capacité à reconstruire ses réseaux.» En effet depuis 2020, les djihadistes ont intensifié leurs opérations, tuant plus de 1.300 soldats de l’armée syrienne, deux membres des forces russes ainsi que 145 miliciens pro-Iran. Une recrudescence des attaques terroristes qui serait en partie liée à la situation économique catastrophique de la Syrie.

Après un conflit long de 10 ans, les Syriens continuent de subir la guerre économique. Mises en place dès le début du conflit pour évincer Bachar el-Assad, les sanctions occidentales se sont étendues à tous les secteurs économiques. Elles ont été durcies sous l’Administration Trump en juin 2020. Baptisées loi César, ces mesures coercitives empêchent littéralement le pays de commercer avec l’extérieur, le privant ainsi d’importations. 411 personnalités syriennes et 111 entreprises, banques et organes étatiques syriens sont dans le viseur de Washington. Pourtant, la coalition semble minorer l’impact des sanctions: «en Syrie, la Coalition se tient aux côtés du peuple syrien», a-t-elle déclaré.

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L’économie du pays est donc exsangue. La livre syrienne a perdu de sa valeur, passant de 50 pour un dollar avant le conflit à 2.300 aujourd’hui, l’essence est rationnée et les habitants peinent à se chauffer en hiver. «Le pétrole vient d’Iran et/ou du Liban par réseau de contrebande», nous raconte Bassam Tahhan. Une misère synonyme d’aubaine pour les groupes djihadistes qui demeurent en Syrie. La radicalisation de pans de la société civile syrienne serait consubstantielle à la situation économique.

«Le pays agonise, les gens ont dû mal à se nourrir, à se vêtir. L’État islamique* profite de cette situation pour avoir de nouvelles recrues à l’Est de l’Euphrate et dans les zones désertiques. Dans certaines localités, ils maintiennent une influence par l’intermédiaire des pillages, des vols, de la contrebande et de la terreur», déplore l’ancien professeur à l’École de guerre.

«Par le jeu des sanctions, comment voulez-vous que le pays se relève économiquement?» ajoute Bassam Tahhan. De surcroît, la Syrie ne peut plus jouir de ses ressources pétrolifères à l’Est du pays. 900 soldats américains et d’autres forces spéciales occidentales protègent les forces kurdes et empêchent Damas de mettre la main sur le pétrole.

«L’Administration américaine n’a pas abandonné son projet de division du territoire syrien en faveur des Kurdes, un moyen pour eux de garder un point d’ancrage dans la région. C’est également un moyen pour faire pression sur Damas et ses alliés», conclut-il.

Bref, si les États-Unis cherchent à éradiquer Daech*, ils ont tout faux.

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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