Un ambassadeur convoqué, quatre bombes à fragmentation (OFAB-250) larguées, une volée de coups de semonce: c’est le coût du passage du HMS Defender à une poignée de miles nautiques du QG de la flotte russe de la mer Noire. Pourquoi donc ce destroyer lance-missiles de 152 mètres de long, naviguant à 10.000 kilomètres de son port d’attache, a-t-il décidé de traverser les eaux territoriales russes pendant 36 longues minutes? S’agissait-il de se faire bien voir des Ukrainiens? De tester la défense russe?
Convoqué ce 24 juin par Moscou, l’ambassadeur britannique en Russie va en tout cas devoir s’expliquer:
«Des démarches aussi effrontées, des provocations absolument flagrantes entraîneront une réponse complexe», s’est indignée la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.
Cette version d’un banal passage au large de la Crimée diverge de surcroît du témoignage d’un correspondant de la BBC, présent à bord du HMS Defender. Jonathan Beale relate avoir entendu des détonations lointaines et évoque surtout une «décision délibérée du navire de guerre» britannique de s’engager dans les eaux territoriales bordant la Crimée. «Une voie maritime internationale reconnue», aurait affirmé le commandement du vaisseau, à en croire Jonathan Beale, ce qui là aussi correspond à la perception des autorités londoniennes.
Une «décision délibérée du navire de guerre», selon un journaliste présent
Mais alors que ce journaliste relate le périple du navire britannique dans «les eaux territoriales criméennes occupées par la Russie», les allées et venues des chasseurs bombardiers (Su-24) russes au-dessus du HMS Defender, la «tension qui monte à mesure qu’il se rapproche des côtes» de Crimée, il entend des messages radio: une voix à fort accent russe répète «si vous ne changez pas de cap, nous ouvrirons le feu». Dans une interview à Channel 4, l’ambassadeur russe au Royaume-Uni a déclaré que l’HMS Defender «n’avait pas répondu à plusieurs avertissements, émis au moins toutes les 10 minutes.»
«Le point important est que nous ne reconnaissons pas l’annexion russe de la Crimée», déclarera à la mi-journée, ce 24 juin, Boris Johnson lors d’une interview dans une caserne d'Aldershot. «Cela fait partie d’un territoire ukrainien souverain, il était tout à fait juste que nous fassions valoir la loi et poursuivons la liberté de navigation comme nous l’avons fait.»
Une «provocation» dans la foulée de la signature d’un accord militaire anglo-ukrainien
Pourquoi alors se livrer à une manœuvre aussi dangereuse? La presse britannique elle-même évoque l’hypothèse que la Royal Navy voulait tester la force et la réactivité de la défense russe. Cette piste est évoquée sans détour par Dan Sabbagh, spécialiste Défense du Guardian.
«Les navires de guerre sont autorisés à s’engager dans un “passage innocent” dans les eaux territoriales tant que cela ne porte pas atteinte à la paix ou à la sécurité de l’État côtier, mais le Royaume-Uni savait qu’envoyer un destroyer près de la Crimée allait susciter une réponse du Kremlin», estime le journaliste et sujet de Sa Majesté.
Il pourrit néanmoins s’agir simplement de satisfaire Kiev à la veille de manœuvres maritimes communes: arrivé le 18 juin à Odessa, le HMS Defender prendra part aux exercices maritimes conjoints de l’Otan, de la Géorgie et de l’Ukraine, Sea Breeze 2021.
En outre, la veille de son aventureuse traversée des eaux territoriales russe, le bâtiment avait accueilli une cérémonie officielle. Hasard? L’incident est survenu le lendemain de la signature d’un accord de coopération militaire entre Londres et Kiev. Le ministre d’État aux Acquisitions de Défense, Jeremy Quin, et le vice-ministre ukrainien Oleksandr Myroniuk, ont en effet signé un accord de collaboration (Memorandum of Implementation) pour la construction de bases navales, la formation ainsi que l’achat de vaisseaux. Le tout en présence de l’amiral britannique David Radakin, du secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine Oleksiy Danilov, ainsi que de l’ambassadrice de Grande-Bretagne en Ukraine, Melinda Simmons.