Au Cameroun, l’armée aurait-elle sous-estimé «la résilience» des séparatistes?

Alors que les solutions de sortie de crise tardent à ramener la paix dans les régions anglophones du Cameroun, de plus en plus des soldats sont tués sur le champ de bataille. En moins d’une semaine, une dizaine de militaires sont tombés dans des affrontements avec les séparatistes. L’option militaire présente-t-elle des signes d’essoufflement?
Sputnik

Privilégiée dès le début de la crise séparatiste dans les régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest Cameroun, l’option militaire semble prendre de l’eau. Ces dernières semaines ont été marquées par de nombreux décès de soldats de l’armée tombés dans de multiples embuscades. En moins d’une semaine, une dizaine de militaires ont été tués. Derniers cas en date, samedi 19 juin dans la localité de Bamali, région du Nord-ouest, quatre éléments de la gendarmerie [corps de l’armée camerounaise] ont été tués par les séparatistes. Selon les autorités locales, ces derniers sont tombés à la suite d’une attaque contre le poste de contrôle de l’armée à Bamali. Deux d’entre eux ont été décapités dans cette attaque aussitôt revendiquée par un chef séparatiste.

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Dans le sud-ouest du pays, un autre militaire a été tué samedi dans des affrontements avec des éléments armés du mouvement sécessionniste. Vendredi 18 juin, au moins deux soldats et un fonctionnaire du ministère de l’Économie ont été tués dans le Sud-Ouest du Cameroun par des séparatistes. Le 16 juin 2021 à la télévision publique (Crtv), le général de brigade Valère Nka a annoncé avoir perdu quatre hommes au cours d’une opération dans le département du Bui, région du Nord-Ouest. Au cours de cette opération qui a mobilisé près de 400 soldats,

«De nombreux terroristes ont été neutralisés, mais nous avons également perdu 4 hommes lors de l’opération et certains ont été blessés», a-t-il laissé entendre.

Une situation sécuritaire toujours alarmante

La récente flambée des violences et le choix de nombreuses attaques contre les positions de l’armée ces derniers jours traduisent, selon Aristide Mono, enseignant des sciences politiques à l’Université de Yaoundé 2, «le niveau de résilience de l’ennemi et le renforcement de ses capacités de nuisance malgré la résistance salutaire de l’armée».

«L’armée c’est le symbole de la puissance de l’État, la défier de façon aussi impudique, c’est procéder pour les séparatistes, à une démonstration de force. Ceci dans le but, non seulement de prouver une certaine efficacité sur le terrain, mais aussi de gagner en visibilité, dans la mesure où les attaques contre les forces de défense, connues pour être assez entrainées, sont considérées comme des exploits. Des affronts à cause desquels, les troupes pourraient être tentées de perdre tout espoir de victoire finale», analyse le politologue.

Si jusqu’ici, toutes les voies explorées pour un retour à la paix ont échoué, dans le pays, certains intellectuels et leaders politiques ont souvent appelé le gouvernement à durcir le ton et agir avec plus de fermeté face à la barbarie vécue dans les régions en crise.

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Seulement l’option militaire a très souvent été remise en cause par de nombreux autres observateurs comme Aristide Mono, du fait de son inefficacité à ramener une paix durable.

«Il ne s’agit pas de fustiger cette option, mais de dire tout simple qu’elle ne peut à elle seule garantir un retour à la normale dans ces deux régions. Cette démarche guerrière déjà très couteuse en matériels et en ressources humaines n’a pas produit les résultats escomptés tout simplement parce que les autres aspects de la crise que sont les secteurs politiques, sociétaux et économiques n’ont pas été suffisamment greffés à cette option», poursuit-il.

La nécessité d’un autre dialogue «franc et inclusif»

D’ailleurs malgré la forte militarisation des régions séparatistes, le conflit persiste depuis maintenant quatre ans. Dans ces territoires, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux protagonistes. Selon le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié en février 2021, ce conflit a déjà fait plus de 3500 victimes (civils et militaires) et provoqué le déplacement de leurs foyers de plus de 700.000 personnes.

Acculé de toutes parts par la communauté nationale et internationale, le Président camerounais Paul Biya avait convoqué un «grand dialogue national» du 30 septembre au 4 octobre 2019 à Yaoundé. Des pourparlers déjà très critiqués à l’époque du fait de l’absence des principaux groupes armés et qui, deux ans plus tard, peinent à ramener la paix.

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Si dans les prises de parole de Yaoundé au sujet de cette crise, l’on évoque de plus en plus un retour à la normale, les nombreux cas de violence recensés au quotidien trahissent bien le contraire. Préconisant quelques solutions possibles à mettre sur pied pour résoudre le problème, Aristide Mono prescrit, comme beaucoup d’autres analystes ou leaders politiques, «un dialogue franc et inclusif».

«Et cela devrait se faire hors du Cameroun sous la conduite d’un médiateur accepté par les parties. Concrètement il faudra deux niveaux de dialogue, un dialogue intra-anglophone qui permettra de dégager les grandes revendications communes des anglophones et les représentants de ces derniers à la conférence nationale – deuxième niveau de dialogue – qui statuera sur des questions qui dépassent les spécificités des revendications des anglophones. Le dialogue franc est ma foi le passage obligé de toute mécanique de résolution de cette crise et de ce problème anglophone», suggère l’analyste politique.

En 2017, les séparatistes anglophones ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour revendiquer la création d’un territoire indépendant. Les tensions avaient auparavant commencé en novembre 2016 sous la forme de revendications corporatistes: des enseignants déploraient la nomination de francophones dans les régions anglophones et des juristes désapprouvaient la suprématie du droit romain au détriment de la Common law anglo-saxonne.

Pour rappel, lors de l’indépendance du pays en 1960, une partie du Cameroun sous tutelle britannique (le nord, majoritairement musulman) s’était prononcée pour son rattachement au Nigeria. L’autre partie (Southern Cameroon) – qui représente les deux régions anglophones en crise aujourd’hui – avait réclamé l’indépendance et son annexion à l’ex-Cameroun francophone. Les deux entités ont formé une République fédérale à partir du 1er octobre 1961. En 1972, un référendum a mis fin au fédéralisme. Les deux États fédérés ont alors disparu pour faire place à un État unitaire. Aujourd’hui, les séparatistes revendiquent la création d’un territoire indépendant remettant en cause les clauses du rattachement de 1961.

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