Conseiller de la ministre de la Femme du Tchad : «L’homme tchadien ne réfléchit pas» - exclusif

Dans un entretien accordé à Sputnik, le docteur Haggar Mahamat Ahmat, conseiller de la ministre tchadienne de la Femme, se prononce sur les coutumes handicapantes, les mutilations génitales et les mariages forcés de filles mineures.
Sputnik

Sputnik: Aujourd’hui au Tchad, les femmes restent sous-représentées dans le milieu politique, elles ne sont que 27 sur 188 députés à siéger l’Assemblée nationale. Vous travaillez depuis longtemps au ministère de la Femme, comment soulevez-vous cette question importante et quelles réelles solutions proposez-vous? 

Haggar Mahamat Ahmat: La femme n’est pas l’égale de l’homme au Tchad de manière générale. Nous avons beaucoup parlé d’égalité et le sujet a fait couler beaucoup d’encre mais il y a un fossé énorme entre les beaux textes et leur application sur le terrain. Il y a ceux qui comprennent l’importance de la question et il y a ceux qui sont contre, compte tenu des traditions et des coutumes de plusieurs ethnies et clans du Tchad. Ces gens disent que cela provient de la Bible ou du Saint Coran mais c’est faux car ils devraient distinguer les coutumes et la religion chrétienne, musulmane ou païenne. D’ailleurs, il y a quatre dieux païens adorés par plus de 5 millions de Tchadiens aujourd’hui: Iondo, Marguay, Poisson-Dieu, Guinerou. C’est important de le souligner car la société tchadienne est religieuse de manière générale. Le Président Déby avait lancé à l’époque une campagne centrée sur l’égalité entre les hommes et les femmes et il a promis un taux de représentation des femmes de 30% dans la fonction publique. Trois ans plus tard, il a rehaussé ce taux jusqu’à 50% juste avant sa mort sur le champ de bataille. Le travail sur l’égalité entre les hommes et les femmes demande beaucoup de mobilisation, donc en réalité cette égalité est malheureusement très loin.

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Sputnik: Les événements politiques des derniers mois dans le pays ont fait reculer beaucoup de problèmes qui concernent la cause féminine au Tchad. Quels thèmes cruciaux placez-vous en premier lieu? 

Haggar Mahamat Ahmat: Dans une société analphabète comme la société tchadienne, il y a encore plus de femmes analphabètes que d’hommes. Ce que je propose, c’est la scolarisation des filles dans les zones urbaines, comme l’ex-Président nigérian l’avait fait [Amanie Joli, ancien Président de la République du Niger, ndlr], une scolarisation pour les filles et les garçons même dans les écoles nomades. Si le gouvernement tchadien arrive à copier cette expérience, cela sera une bonne chose. 
Nous devons également faire une campagne de mobilisation pour changer la mentalité de l’homme tchadien. L’homme tchadien ne réfléchit pas. La femme, c’est la vie. Il faut une campagne de mobilisation au niveau de l’éducation nationale, du ministère de la Communication, du ministère de la Culture, et aussi faire bouger l’Église et la Mosquée car la religion a encore un rôle très important pour orienter le comportement des gens au Tchad. Mais il ne faut pas que nous tombions dans l’intégrisme, amalgame entre la religion et la politique, le gouvernement doit rester laïc. Nous pouvons faire reculer les préjugés contre les femmes dans la mentalité archaïque de l’homme tchadien en utilisant la religion et en expliquant que les textes de la Bible et du Coran n’ont jamais montré que l’homme était supérieur à la femme. 

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Sputnik: Les mutilations génitales féminines, pratiquées dans la plupart des régions du Tchad, touchent 44% des femmes. Comment le ministère de la Femme affronte-t-il ce problème terrible? Comment comptez-vous éradiquer ces pratiques inhumaines? 

Haggar Mahamat Ahmat: Les mutilations génitales sont une tradition venue d’Égypte. La plupart des gens qui le font croient que c’est écrit dans la Bible ou dans le Coran, alors que ce n’est pas vrai. Le ministère de la Femme et de la Protection de l’enfance doit élargir la sensibilisation des gens à ce sujet. Madame Amina Priscille Longoh, ministre de la Femme, est consciente du problème, elle essaie de mobiliser contre cette pratique. On n’attend pas d’aide extérieure pour réaliser ces projets qui servent à protéger et à sauver les femmes de ces coutumes. Nous voudrions mobiliser les instances religieuses pour faire une conférence nationale sur la question des mutilations génitales. Nous publions des brochures de poche en deux langues –en français et en arabe– pour faire bouger la Mosquée et l’Église sur cette question. Nous devons continuer cette mobilisation pour protéger nos mères, nos sœurs, nos filles qui sont la fleur de notre vie, comme d’ailleurs le Prophète l’indique dans le Hadith. 

Sputnik: Comment le ministère de la Femme s’engage-t-il dans la lutte contre la violence faite aux femmes? Comment les institutions judiciaires traitent-elles ce sujet? 

Haggar Mahamat Ahmat: Parmi les causes premières de tous les crimes, il y a la corruption de la justice tchadienne. De vrais criminels paient et on les laisse partir en mettant quelqu’un d’autre à leur place. Je n’exagère pas, c’est la réalité des choses. Le gouvernement doit nettoyer la justice tchadienne à N’Djamena et en province. Puisque les institutions judiciaires ne fonctionnent pas comme il faudrait, cela encourage les délinquants à commettre des crimes encore et encore. En ce qui concerne le viol, la plupart des gens n’osent pas dire que leurs femmes ou filles ont été violées. Le gouvernement doit mobiliser les gens et leur expliquer certaines choses, puis créer un encadrement pour les jeunes et aussi des emplois. 
Si le président du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Déby, arrive à nettoyer l’administration du pays et à placer des cadres compétents au lieu des corrompus, alors le Tchad aura toutes ses chances. Puis la France pourrait aussi aider à instaurer la culture du respect de droits de l’homme, la culture de la paix, la culture de convivialité, la culture du vrai dialogue entre les Tchadiens mais aussi enseigner aux populations dans les termes techniques pour créer une vraie collaboration.  

Sputnik: Selon l’ONU, 30% des femmes tchadiennes âgées de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 15 ans. Environ 14% d’entre elles accouchent également avant l’âge de 15 ans. Comment évaluez-vous ces statistiques?

Haggar Mahamat Ahmat: De manière formelle, le gouvernement tchadien interdit le mariage des filles mineures, mais il n’a pas la capacité d’appliquer cette interdiction. La loi reste dans le cadre théorique, ce ne sont pas des textes rédigés par des savants et appliqués par l’Assemblée nationale qui encadrent la vie des Tchadiens, ce sont des coutumes archaïques. Il y a des filles que je vois tous les jours dans les rues qui ont été forcées à se marier à 12 ans, et à 13 ans elles ont déjà des enfants. C’est un crime, c’est horrible. La loi ne protège pas car il n’y a pas d’administration solide qui applique les lois et qui protège les gens, surtout les femmes et les enfants. Les chiffres que donnent les Nations unies, je suis d’accord avec, mais il y a pire encore. Jour après jour, la vie continue et nous propose de nouvelles situations alors que dans les ministères, on fait du copier-coller des vieux textes qui ne seront pas appliqués aux ministres ou au Président. Il faudrait chercher de vraies solutions.

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