«Les joueurs sont utilisés comme des marionnettes pour autre chose que le football. C’est une grave atteinte à leur liberté de conscience», lance Robert Redeker au micro de Sputnik.
Le philosophe goûte peu le geste symbolique que s’apprêtent à réaliser les joueurs de l’équipe de France, ce mardi 15 juin. La veille, le capitaine de l’équipe de France, Hugo Lloris, annonçait en conférence de presse que ses coéquipiers allaient bien poser un genou à terre avant le coup d’envoi du match les opposant à l’Allemagne. Un geste fort censé symboliser la lutte contre le racisme et les discriminations. Des sportifs du monde entier l’ont adopté dans le sillage du mouvement Black Lives Matter né aux États-Unis. Or, derrière ce geste en apparence anodin se cache en réalité un véritable enjeu politique, avance Redeker.
«On se sert du sport et des joueurs pour faire passer un message idéologique que l'on croit, peut-être à tort, populaire. Il s'agit d'une leçon de morale, ou plutôt, de ce que Nietzsche appelait la “moraline”: on vous dit qui sont les bons et qui sont les méchants, de même qu'on vous dit ce qu'il faut obligatoirement penser pour ne pas faire partie du camp des méchants», déclare l’auteur de «Peut-on encore aimer le football» (éd. du Rocher).
Et pour cause: le geste ne symbolise pas seulement la lutte contre le racisme, mais dénonce à l’origine les violences policières et le traitement infligé aux minorités aux États-Unis.
Pour Viktor Orban, on ne s’agenouille que «devant Dieu ou la nation»
De son côté, Robert Redeker y voit surtout le «signe d’une soumission à des impératifs idéologiques, moraux et politiques», lesquels seraient selon lui «imposés par la puissance culturelle états-unienne». Pis, cette posture est loin de faire l’unanimité parmi les supporters. À Saint-Pétersbourg, samedi 12 juin, les supporters russes ont hué les joueurs belges agenouillés avant le match, tandis que les joueurs de la Sbornaïa sont restés debout. Idem à Wembley, à Londres, dimanche 13 juin: les sifflets se sont mêlés aux applaudissements lorsque les joueurs anglais ont posé le genou à terre. Quelques jours plus tôt, le 10 juin, Viktor Orban, Premier ministre de la Hongrie, allait jusqu’à considérer ce geste comme une «provocation inintelligible». «Je n'ai aucune sympathie pour ce business de l'agenouillement. Je ne pense pas que ces choses-là aient leur place sur le terrain. Le sport, c'est autre chose. Les athlètes se battent debout», a-t-il poursuivi, avant de préciser que l’on ne pouvait s’agenouiller que «devant Dieu ou la nation».
Le sport devient «une mise en scène des tensions sociétales»
De fait, le genou à terre risque bel et bien de devenir un objet de discorde durant cet Euro. Outre les joueurs russes et hongrois, les Écossais et les Croates ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne se plieraient pas à l’exercice. Depuis l’annonce faite par Hugo Lloris, le hashtag #BoycottEquipeDeFrance est en plein boom sur Twitter. Certaines personnalités politiques, à l’image de Philippe de Villiers, vont jusqu’à appeler à «couper le poste» ce soir.
S’il n’appelle pas au boycott et ne condamne pas le geste en tant que tel, Robert Redeker estime que cette posture est en revanche symptomatique d’une forme de politisation grandissante du sport de haut niveau.
«Jadis, le sport était vécu comme un moment de neutralisation des tensions. Avec cette prise en otage du sport par la moraline, c'est le contraire qui se produit: une mise en scène des tensions sociétales», théorise le philosophe.
En tout état de cause, selon lui, ce geste devrait au moins intégrer une symbolique plus large dans le cas de la France afin de manifester, par exemple, la «solidarité avec les victimes des attentats islamistes, Samuel Paty, le père Hamel, ou encore la courageuse Mila [cible de menaces de morts répétées pour avoir manqué de respect à l’islam, ndlr]». «Sinon, même en admirant leurs exploits, s'il y en a, le public français ne se sentira pas vraiment représenté par ces joueurs», prévient Robert Redeker.