Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, vient de rencontrer vendredi 4 juin, tour à tour, Khaled al-Mechri, président du Haut Conseil basé dans la capitale libyenne Tripoli, et Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk «dans le cadre des efforts du Maroc pour résoudre la crise libyenne».
Ces rencontres se sont tenues à l’issue d’un nouveau cycle de discussions sur les nominations institutionnelles clés en Libye, objets de divisions profondes dans ce pays en quête de stabilité. Les deux interlocuteurs du chef de la diplomatie marocaine sont revenus à Rabat en tant que représentants des deux camps rivaux dans le conflit libyen qui se déchirent depuis la chute de Mouammar Kadhafi: celui du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj, reconnu par l’Onu, et celui de la Chambre des représentants qui soutient le maréchal Khalifa Haftar.
Un événement qui s’inscrit dans la continuité de la percée politique que connaît la Libye depuis quelques mois, et qui est assimilée à une sortie de crise, avec l’élection en février dernier d’une autorité intérimaire composée d'un gouvernement d'Union nationale et d'un Conseil présidentiel. Cette dernière a été investie pour conduire le pays vers des élections parlementaires et présidentielles, le 24 décembre prochain.
Les pourparlers de Rabat sont par ailleurs les derniers d'une série de rounds dits de Bouznika (du nom d'une ville balnéaire) qui se tiennent dans le royaume chérifien depuis septembre 2020 dans l’espoir de réconcilier les belligérants libyens.
Satisfecit général
Soutenue par Washington ainsi que par les Nations unies, l’initiative marocaine semble marquer une avancée dans le règlement du conflit libyen qui dure depuis 2011, si l’on en croit les dernières déclarations des deux camps:
«Grâce aux efforts du Maroc et sous la supervision et le patronage de Sa Majesté le Roi, nous avons enfin obtenu la formation d'un pouvoir exécutif qui a gagné la confiance de la Chambre des représentants. Nous lui souhaitons maintenant de réussir et que la Libye sorte de la crise. Nous avons également entamé la mise en œuvre du mécanisme concernant la sélection des dirigeants des postes de souveraineté. La Chambre des représentants a préparé les dossiers nécessaires et les a transmis au Conseil d’État. Nous attendons maintenant sa réponse afin de nommer le gouverneur de la Banque centrale de Libye et le président de l’autorité de contrôle administratif, entre autres», a affirmé Aguila Saleh qui s’exprimait devant les médias marocains et internationaux après son entretien avec Nasser Bourita, vendredi dernier.
Satisfaction également du côté de Khaled el-Mechri, chef du Haut Conseil d'État: «Nous sommes optimistes sur les débouchés de ce séjour au Maroc et de cette médiation entre les parties libyennes, la Chambre des représentants et le Conseil d'État. Les efforts ne sont pas terminés, depuis le début de 2014 jusqu'à la fin de 2015, nous avons eu les accords de Skhirat, et si Dieu le veut, nous allons vers la tenue des élections législatives et présidentielles à la fin de cette année».
«Le royaume a repris en main le dossier de la crise libyenne après avoir été tenu à l’écart de la conférence de Berlin qui s’est déroulée en janvier 2020. Le Maroc est devenu aujourd’hui une partie prenante dans la nouvelle forme de stabilisation en Libye. Tout comme ses capitales voisines du Maghreb, Rabat adopte une approche assez singulière stipulant qu’à côté de la dimension de la stabilisation politique, il y a aussi la prise en compte du caractère des deux assemblées en conflit. Celles-ci constituent peu ou prou ce qu’il y a de plus stable dans le processus de stabilisation tel qu’il se met en place aux yeux du Maroc. C’est justement cette vision qu’affirme aujourd’hui la diplomatie marocaine devant les autres acteurs clés de la résolution du conflit, surtout devant l’Allemagne».
Il faut dire que la chronologie de ces réunions à haut niveau est éloquente puisqu’elles interviennent au moment où Berlin se prépare à accueillir le 24 juin prochain la deuxième conférence internationale sur la paix en Libye sous l’égide de l’Onu. Fait inédit, le gouvernement de transition mis en place en début d’année sera cette fois-ci de la partie. Le Maroc lui aussi est sur la liste des invités de la chancelière Angela Merkel après avoir été écarté de la première édition en janvier 2020.
Realpolitik
«Cette conférence constitue un contexte favorable pour que la page de la crise diplomatique qui oppose le Maroc à l’Allemagne soit tournée», assure l’expert français.
Une crise diplomatique qui trouve son explication dans trois dossiers principaux: il s’agit d’abord du feuilleton judiciaire complexe d’un ressortissant germano-marocain, anciennement -détenu au Maroc pour des accusations de terrorisme, du nom de Mohamed Hajib. Ce dernier diffuse des vidéos-live critiques à l’encontre des autorités marocaines sur ses réseaux sociaux. La diplomatie marocaine accuse les autorités allemandes de «complicité» à son égard, notamment «en lui ayant divulgué des renseignements sensibles communiqués par les services de sécurité marocains».
L’autre objet de discorde entre les deux pays est la position allemande sur la question du Sahara occidental. Ce territoire au sud du Maroc est disputé par Rabat, qui contrôle 80% de cette zone quasi désertique, au sous-sol riche en phosphates et au littoral très poissonneux, et le mouvement indépendantiste du Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Même après la reconnaissance par l’administration Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara le 10 décembre dernier, Berlin reste très réticent à l’idée de changer de position pour aller dans le sens souhaité par Rabat.
En remontant un an plus tôt, on retrouve le dernier différend à l’origine de cette crise diplomatique entre le Maroc et l'Allemagne. Il s'agit justement de la conférence internationale sur la situation en Libye, organisée par Berlin et à laquelle le Maroc n’a pas été convié, contrairement à son frère ennemi l’Algérie.
«L’invitation du gouvernement allemand montre tout le chemin parcouru pour la résolution du conflit libyen depuis la dernière édition de 2020. Elle montre surtout à quel point la diplomatie allemande n’avait pas forcément bien jaugé l’importance d’avoir le Maroc comme invité dans ce processus», explique le président de l’IPSE au micro de Sputnik.
«Un aveu qui poussera sûrement le Maroc à répondre favorablement à l’invitation de Berlin», assure Emmanuel Dupuy qui souligne le «caractère marginal» de la crise qui oppose les deux pays. «La crise maroco-allemande a moins de prégnance à l’heure actuelle par rapport à celle qui oppose le royaume à l’Espagne ou encore à l’Algérie et donc elle est gérée de manière plus intelligente. Évidemment, il y a toujours le cas de Mohamed Hajib qui empoisonne encore les relations. Mais la crise qui remonte au mois de mars dernier semble être une façon de montrer justement à Berlin que la coopération entre les deux pays peut se faire de manière plus intelligible», précise-t-il.