Plan antidrogue de Paris: Anne Hidalgo «s’est engagée fermement à ce que les Jardins d’Éole soient libérés fin juin»

Le conflit entre les riverains du Nord-Est parisien et les consommateurs de drogue s’envenime. «Mettez les salles de shoot dans Paris Centre», lit-on sur les pancartes devant la mairie du XVIIIe arrondissement parisien, où une réunion des maires des arrondissements concernés était organisée ce 7 juin par Anne Hidalgo. Reportage.
Sputnik

Les associations ont mobilisé leurs troupes. Dès qu’elles ont appris qu’une réunion s’organisait à la mairie du XVIIIe arrondissement de la capitale, elles sont venues exprimer leur ras-le-bol.

​Les maires du Nord-Est parisien –Xe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements– confrontés quotidiennement aux problèmes de trafic et de consommation de stupéfiants, ont été conviés à rencontrer Anne Hidalgo, maire de Paris.

«Cette cohabitation avec des toxicomanes qu’on impose aux habitants du Nord-Est parisien, on n’en peut plus», s’insurge au micro de Sputnik un membre du Groupe de Parisiens Les Plumes 75, du quartier Rosa Parks.

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Cet habitant du XIXe arrondissement milite pour «une décision politique» afin de faire construire «un centre en dehors de Paris, quelque part en région parisienne». Pour le riverain, une telle installation permettrait aux toxicomanes «de vivre pleinement, avec une unité de soins et des psychologues». Pour lui, installer des salles de consommation à moindre risque (SCMR) en zone urbaine, «ce n’est plus possible».

Un riverain de la salle de consommation de la rue Lariboisière, près de la Gare du Nord, dans le Xe arrondissement, dénonce le manque de concertation avec la mairie.

«Beaucoup de collectifs n’ont pas étés invités à cette réunion à la mairie du XVIIIe arrondissement. C’est un déni de démocratie. Seuls les collectifs pro-SCMR ont été invités, à la suite du fameux rapport de l’INSERM qui est favorable aux salles de consommation», déplore ce riverain au micro de Sputnik.

L’installation de la salle de shoot près de l’hôpital Lariboisière en mai dernier est une conséquence immédiate du rapport scientifique et sociologique publié alors par l’Institut de Santé Publique de l’INSERM.

Anne Hidalgo s’engage

Dirigée en partie par la chercheuse Marie Jauffret-Roustide, cette étude conclut notamment au résultat positif de la mise en place des SCMR à Paris. Un avis que les riverains ne partagent guère.

Il ressort néanmoins de la réunion une bonne nouvelle pour les voisins des Jardins d’Éole:

«Madame Hidalgo s’est engagée très fermement à ce que les Jardins d’Éole soient libérés au plus tard fin juin. Elle l’a dit à plusieurs reprises, jusque dans sa conclusion, même si elle tenait à souligner que ce n’était pas sa proposition», détaille Kamel Mardaoi, un habitant du quartier des Halles.

​Ayant encore «du mal à la croire», les riverains promettent de poursuivre leur mobilisation, «tant que les promesses ne sont pas tenues». Une manifestation est déjà prévue pour mercredi 9 juin prochain. D’autant que la mairie est restée discrète sur le choix de délocalisation des toxicomanes.

«Mon impression est qu’ils ont des pistes [d’ouverture de lieux de consommation légale de drogues, ndlr], mais ils n’ont pas voulu nous les donner. Nous avons insisté pour que ça ne soit pas à côté des habitations», précise Kamel.

Malgré le flou qui demeure, ce Parisien a gardé la nette impression qu’il s’agit «d’ouvrir plusieurs salles de consommation» à travers la capitale, pour que «ça soit moins compliqué pour les riverains». Une stratégie contraire à celle qui a prévalu contre le coronavirus: au lieu d’isoler, on démultiplie.

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De son côté, la commission interministérielle qui s’est elle aussi penchée sur le problème ce lundi 7 juin, n’a pas encore communiqué les résultats de ses travaux. Néanmoins, Laurent Lemasson, responsable des publications pour l’Institut pour la Justice, considère que l’idée d’installer des salles de consommation à moindre risque dans les villes est une «erreur fondamentale». Et l’expert rappelle que «cette pratique, existant ailleurs» dans le monde, notamment «depuis une trentaine d’années, en Amérique du Nord, à Vancouver ou Seattle» n’a pas été concluante et a provoqué «sans cesse plus de problèmes de drogue» et de dépenses.

«On ne pose jamais la question: “À moindre risque” pour qui? Certainement pas pour les riverains de ce genre de salle, parce qu’elles attirent des drogués, des dealers et des délinquants. Pour que cette salle fonctionne, la police doit être discrète, et elle n’intervient pas dans le périmètre proche», précise Laurent Lemasson au micro de Sputnik.

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En mai 2019, un protocole de lutte contre les drogues et les conduites addictives a été signé entre la préfecture d’Île-de-France, la préfecture de police, la Ville de Paris, l’ARS et la mission interministérielle. Mais le problème persiste, sans que le «plan crack», qui prévoirait trente-trois actions dotées d’un budget de neuf millions d’euros sur la période 2019-2021, n’apporte des résultats convaincants. L’inefficacité du programme a attiré récemment l’attention de la Chambre régionale des comptes, qui vient d’ouvrir une enquête.

Laurent Lemasson considère que la salle de shoot représente pour les toxicomanes «la réduction du risque immédiat de mourir d’overdose ou d’attraper une maladie en se piquant». Mais, à long terme, ces salles augmentent les périls à ses yeux: «L’accessibilité des salles entretient les toxicomanes dans leur addiction.»

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