Les tentatives de suicide sont en hausse chez les 12-24 ans depuis septembre 2020. Pour le mesurer, le professeur en psychiatrie Fabrice Jollant (GHU Paris psychiatrie et neurosciences) et le médecin réanimateur Dominique Vodovar (centre antipoison de Paris) ont comparé les appels reçus par les huit centres antipoison (CAP) de l’Hexagone entre le 1er janvier 2018 et le 31 mars 2021.
«Alors que le nombre d’appels quotidiens pour tentative de suicide avait nettement chuté pendant le premier confinement, on observe une hausse globale depuis celui de l’automne 2020 et surtout depuis janvier, essentiellement chez les 12-24 ans », a expliqué Dominique Vodovar au Monde.
Du côté des numéros d’écoute, la tendance est similaire. Dans une interview donnée à France 24, Françoise Facy, ancienne présidente de l'Union nationale de prévention du suicide (UNPS), a lancé un cri d’alarme: «Nos associations adhérentes constituent des points d’alerte et tous les numéros d’écoute nous indiquent que le nombre d’appels a explosé.»
Le suicide, un geste tragique difficilement perceptible
Alors que la France possède l’un des taux de suicides les plus élevés en Europe avec 9.000 décès par an, faut-il craindre une recrudescence des cas? Rien n’est moins sûr selon Françoise Facy: «Il faut toutefois distinguer l’idéation, la pensée suicidaire, du passage à l’acte avec la tentative de suicide.»
Des propos que corrobore le docteur Christian Flavigny, pédopsychiatre et psychologue: c’est un geste, «bien évidemment de désespoir», mais également un «message d’alerte», analyse-t-il au micro de Sputnik.
«Ce n’est pas un geste qui consiste à proprement vouloir mourir, parce que c’est quelque chose qui est encore très flou à cet âge, mais plutôt à vouloir “rejouer la partie” en quelque sorte», nous explique le praticien. «À l’image d’un joueur de cartes: il a l’impression qu’il n’a pas un bon jeu, donc il le jette sur la table, de façon que l’on refasse une donne pour en avoir un meilleur», illustre le pédopsychiatre.
Comme il l’explique, le geste suicidaire résulte d’un sentiment d’impuissance: le jeune «sent qu’il est dans une impasse» et qu’il n’a «pas la possibilité de correspondre à ce qui est pour lui un certain idéal nécessaire à atteindre pour trouver sa place dans la vie».
Par ailleurs, «les éléments extérieurs peuvent aviver ce désarroi intérieur» souligne le docteur Flavigny. Néanmoins, il prévient: ces facteurs externes peuvent exacerber une problématique sans nécessairement la créer. Or, en cette période de crise sanitaire, la santé mentale des jeunes est au plus bas.
Un sentiment d’impuissance
Selon une enquête Ipsos pour la fondation de coopération scientifique FondaMental, près des deux tiers des 18-25 ans estiment que la crise sanitaire «aura des conséquences négatives sur leur santé mentale». Chez les 22-24 ans, 47% montrent des signes de «trouble anxieux généralisé». Pis encore, 29 % des jeunes ont évoqué des pensées suicidaires. En outre, il y a eu une hausse moyenne de 40% des recours aux urgences pour des motifs liés à la santé mentale d’après les données recueillies par le gouvernement.
Sur France Inter en mars dernier, Angèle Consoli, pédopsychiatre et membre du Conseil scientifique, avait indiqué que les hospitalisations des jeunes de moins de 15 ans pour motif psychiatrique étaient «en hausse de 80%» depuis le début de l’épidémie de coronavirus.
Pour endiguer ce phénomène, le chef de l’État avait annoncé le lancement d’un «forfait psy» comprenant dix séances chez un psychologue pour les 3-17 ans. En outre, d’ici à juillet 2021 devraient se tenir les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, un événement censé apporter «des réponses concrètes» à cette thématique pour le moins compliquée.