«Un enfant exprime sa souffrance principalement corporellement, alors il faut beaucoup de temps, en le laissant parler, de tout et de rien. Il faut lui montrer que l’on est bienveillant. Toutes les premières séances sont prises là-dedans, car si l’enfant se braque, il se referme comme une coquille. C’est un travail très long», détaille le docteur Sophia Kantin.
Psychiatre à Paris, elle relativise au micro de Sputnik la portée du «forfait 100% psy enfants» proposé par Emmanuel Macron. Ce dispositif permettra le remboursement à 100% de dix séances de psychologue en ville pour des enfants et adolescents de 3 à 17 ans. Une mesure activable tout au long de la crise sanitaire, auprès de psychologues partenaires identifiables sur une plateforme, sous réserve d’une prescription médicale.
«En dix séances, on ne fait rien»
«Nous avons aujourd’hui un problème de santé qui touche nos enfants et adolescents, qui se rajoute à l’épidémie», a déclaré le Président de la République lors de sa visite au service de pédopsychiatrie du CHU de Reims, le 14 avril. «On voit monter quelque chose que l’on n’avait pas connu au premier confinement, une anxiété et des angoisses chez les plus jeunes qui se sont traduites dans les chiffres.» Et pour cause, de nombreux spécialistes ont dénoncé l’impact des mesures sanitaires sur la population.
Derrière l’épidémie, il y a un continent caché : la souffrance des plus jeunes.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) April 14, 2021
Pour les accompagner, nous allons lancer le forfait 100 % psy enfant pour leur permettre de consulter sans frais un psychologue. Pour eux, pour leur famille.
Néanmoins, la psychiatre souligne que le «forfait psy» reste un «geste politique»: «en dix séances, on ne fait rien». Elle rappelle qu’autant pour l’enfant que l’adolescent, le temps nécessaire afin d’établir un lien de confiance est très long. Elle y voit cependant une occasion à saisir pour certains: le dispositif pourrait permettre à de jeunes enfants de consulter, sous l’impulsion de leurs parents.
«Il y a une chape de plomb dans la société. Lorsque l’on est déprimé, on doit être plus fort. C’est encore stigmatisé comme une preuve de faiblesse en général dans la population, mais surtout chez les adolescents. Ils ne viennent qu’en bout de course, lorsqu’ils n’en peuvent plus, à la phase suicidaire», déplore le Dr Kantin.
Un travail de longue haleine donc, mais particulièrement important durant cette crise sanitaire. Selon le gouvernement, il y a eu une hausse moyenne de 40% des recours aux urgences pour des motifs liés à la santé mentale. En outre, 40% des parents ont déclaré avoir observé des signes de détresse psychologique chez leur enfant lors du premier confinement. Sur France bleu en mars dernier, Angèle Consoli, pédopsychiatre et membre du Conseil scientifique, avait indiqué que les hospitalisations des jeunes de moins de 15 ans pour motif psychiatrique étaient «en hausse de 80%» depuis le début de l’épidémie de coronavirus.
Hausse des premières consultations
Le docteur Kantin souligne d’ailleurs qu’elle a constaté une «augmentation des premières consultations» dans son cabinet. Une tendance qui se vérifie également au niveau national. Les demandes de rendez-vous chez les psychologues de ville ont augmenté de 27% entre octobre 2020 et mars 2021 par rapport à l’année précédente, selon une étude de Doctolib, site de prise de rendez-vous médicaux.
Comme l’explique le Dr Kantin, les motifs de consultations sont multiples: chez les adolescents, de nombreux patients lui font part d’une «difficulté à se projeter dans l’avenir», d’une absence de plaisir, «parce qu’ils ont beaucoup de mal à faire leurs activités, à voir leurs amis, etc.» Même s’il y a des interactions virtuelles, «cela distrait, mais de manière superficielle», remarque la psychiatre. En outre, beaucoup consultent pour du décrochage scolaire:
«Quand on est déprimé, le cerveau est bloqué, toute l’énergie est prise par cette souffrance et donc ils ne peuvent absolument pas se concentrer sur les cours», analyse le Dr Kantin.
Si les enfants et les adolescents sont touchés, les adultes ne sont pas en reste. D’après les enquêtes menées par Santé publique France, la proportion de personnes souffrant d’état anxieux ou dépressif a fortement augmenté depuis un an, touchant ainsi près d’un tiers des Français. Conscient de cela, le gouvernement a lancé, début avril, une campagne à destination du grand public afin d’inciter les Français à «parler» de leur état psychologique et à utiliser notamment les services d’aides par téléphone et Internet.