Toutes les demandes de candidatures à la Présidentielle iranienne de juin 2021 sont désormais enregistrées. Près de 600 personnes se sont ainsi présentées pour tenter de succéder au Président Rohani, qui arrive au bout des deux mandats consécutifs autorisés par la Constitution iranienne. Le Conseil des Gardiens de la Constitution, organe non élu chargé du contrôle de la Présidentielle, a désormais jusqu’au 27 mai pour faire le tri et valider les candidatures qu’il juge recevables.
Parmi celles-ci, deux hommes font figure de favoris, selon la presse internationale: le conservateur Ali Larijani et l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi. Un pronostic partagé au micro de Sputnik par Thierry Coville, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Iran.
Deux nuances de conservatisme
«Il faut rester prudent, car une élection reste une élection, et il peut toujours y avoir des surprises, mais en l’occurrence, en mettant en avant Ali Larijani et Ebrahim Raïssi, on voit bien que le Conseil des gardiens et le Guide essayent de créer une certaine forme de concurrence maîtrisée entre deux versions du conservatisme», explique le directeur de recherche de l’IRIS.
Les deux présidentiables sont effectivement, à des niveaux différents, des proches du pouvoir. Ali Larijani, Président du Parlement de 2008 à 2020, est aujourd’hui conseiller du guide. Il est favorable à la conclusion d’un accord avec les États-Unis sur le programme nucléaire de son pays. En Iran comme ailleurs, celui-ci est considéré comme conservateur au sein du spectre politique iranien. Il est cependant perçu comme relativement modéré en comparaison de son principal adversaire dans cette course présidentielle, Ebrahim Raïssi.
«Larijani représente une tendance plus modérée au sein du courant conservateur. Politiquement, il a par exemple soutenu dans certains cas les politiques de Rohani lorsqu’il était Président du Parlement. C’est quelqu’un qui a l’habitude des négociations internationales. Au début des années 2000, c’est lui qui a géré les premières négociations liées à la question du nucléaire iranien», rappelle notre interlocuteur.
«Les Européens et les Occidentaux le connaissent et ont déjà négocié avec lui. De ce point de vue là, il est tout de même différent de Raïssi», ajoute-t-il.
Concernant Ebrahim Raïssi, la donne est effectivement différente. «C’est un ultraconservateur», affirme Thierry Coville. Candidat malheureux à la Présidentielle de 2017 avec 38% des voix au premier tour, Ebrahim Raïssi est depuis mars 2019 chef du système judiciaire iranien et vice-président de l’Assemblée des experts, organe composé de 88 membres religieux élus, chargé de nommer, superviser et éventuellement démettre le Guide suprême. Considéré comme un «dur» politiquement, il est proche du Guide et est soumis depuis 2019 à des sanctions directes du département du Trésor des États-Unis.
L’inconnue du taux de participation
Le choix de mettre en avant deux nuances de conservatisme pourrait toutefois s’avérer risqué pour les autorités iraniennes. Au-delà du choix présenté aux Iraniens, l’autre gageure de cette élection demeure le taux de participation.
«C’est un enjeu crucial, car c’est l’argument qui est historiquement mis en avant par Téhéran pour justifier l’aspect démocratique de son système politique. Ils disent: “regardez, nous avons des élections auxquelles participe la population”», souligne Thierry Coville.
Les deux dernières élections présidentielles ont vu le taux de participation avoisiner les 72%, toujours selon les chiffres officiels. La donne pourrait cependant changer, malgré les appels répétés ces derniers mois du Guide suprême Ali Khamenei à une participation massive.
«Il y a toujours cette idée d’un nationalisme fort et présent en Iran. On ne sait jamais, les choses peuvent bouger vite lors d’une élection, mais si j’avais un pronostic à faire, c’est que le taux de participation ne sera pas extraordinaire», affirme le directeur de recherche à l’IRIS.
Selon lui, une forme de dégagisme assez importante fait florès au sein de la population et en particulier «au sein de la classe moyenne éduquée.»
Priorité à l’économique et au social
Pour cet électorat, crucial dans les élections iraniennes, les conservateurs, mais aussi les modérés, font désormais partie de la même classe politique qu’ils rejettent. «Il y a une déception de leur part après les huit années de Rohani», observe Thierry Coville.
De son côté, Ebrahim Raïssi entend surtout s’attaquer à la question sociale. Dans un communiqué officiel, celui-ci a indiqué que la «lutte incessante contre la pauvreté et la corruption, les humiliations et les discriminations», constituerait cœur de son action s’il était élu.