«Un dernier soubresaut»? Au Québec, une vaste réforme pour assurer la survie du français

Le gouvernement Legault vient de dévoiler un important projet visant à renforcer la principale loi protégeant le français au Québec. Une décision susceptible d’influencer le résultat de la prochaine élection fédérale. Mesure cosmétique ou projet d’envergure? Sputnik fait le point avec deux spécialistes de la question linguistique.
Sputnik

La langue française enfin sauvée au Québec? Rien n’est moins sûr, mais le gouvernement Legault entend, à l’en croire, plus que jamais contribuer à sa survie. Pour ce faire, il vient de déposer un projet de loi très attendu visant à renforcer la Charte de la langue française, communément appelée loi 101 dans la Belle Province.

«Le français au Québec va toujours être menacé. Chaque génération a la responsabilité d’assurer sa survie. […] Cette loi, quand elle va être adoptée, va être l’action la plus forte pour protéger notre langue depuis l’adoption de la loi 101 en 1977», a déclaré le Premier ministre, François Legault, sur sa page Facebook.

Ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française, politicien remarqué pour son ardent nationalisme, Simon Jolin-Barrette pilote ce projet qui comporte une quarantaine de mesures.

Reconquista linguistique: des dizaines de nouvelles mesures

Parmi les plus importantes dispositions figurent la création d’un ministère de la Langue française, l’inscription dans la Constitution canadienne de la «reconnaissance de la nation ainsi que du français comme seule langue officielle et commune du Québec», ainsi que la création d’un poste de commissaire au français. Le gouvernement Legault compte aussi limiter le nombre d’admissions d’étudiants francophones dans les établissements anglophones de niveau préuniversitaire (les cégeps, acronyme de «collèges d’enseignement général et professionnel»).

​Lauréat du prix du livre politique de l’Assemblée nationale du Québec pour son livre Pourquoi la loi 101 est un échec (éd. Boréal), Frédéric Lacroix se réjouit de voir Québec agir, mais reste sceptique quant aux résultats. À notre micro, il confie que cette réforme est déjà pour lui «très en deçà des attentes»:

«Le point fort du projet, c’est que, enfin, on fait quelque chose. Les attentes étaient très élevées et ont monté passablement dans les derniers mois, peut-être au-delà de ce que le gouvernement Legault est prêt à livrer. […] C’est un projet majeur, mais c’est certain qu’il ne mettra pas un frein à la minorisation des francophones au Québec», souligne le chercheur indépendant.

Claude Simard, linguiste et professeur retraité de la faculté des sciences de l’éducation de l’université Laval, à Québec, n’est pas plus optimiste:

«Ces mesures juridico-bureaucratiques vont peut-être rassurer les francophones, mais elles ne changeront pas du tout leurs attitudes socio-linguistiques, qui se caractérisent depuis les années 1990 par une tendance à inférioriser leur langue et à survaloriser l'anglais. Un dernier soubresaut donc», tranche l’auteur de nombreux livres et articles sur l’état du français au Québec.

Dans son récent ouvrage, Frédéric Lacroix souligne que le poids des francophones au Québec n’était jamais descendu sous les 80% depuis 1871, alors qu’il se retrouve à 78% aujourd’hui. Dans seize ans, les francophones devraient former 69% de la population selon les projections de l’auteur. La tendance des immigrés à choisir l’anglais et non le français est également un enjeu bien documenté depuis plusieurs années. Le Québec étant une province située en Amérique du Nord, l’anglais y exerce un important pouvoir d’attraction auprès des immigrés allophones. Une réalité surtout reflétée dans la métropole de Montréal. Comme le soulignait Claude Simard dans la revue Argument, 40% des étudiants allophones choisissent de poursuivre leurs études postsecondaires dans un établissement préuniversitaire de langue anglaise.

Le français toujours en déclin

Dans ce contexte, Frédéric Lacroix ne voit pas comment les dispositions évoquées pourraient freiner l’avancée de la langue de Shakespeare. Surtout que le gouvernement Legault vient d’annoncer qu’il reverrait à la baisse l’importance de la connaissance du français dans la sélection des nouveaux arrivants.

«Ça nécessite des objectifs démo-linguistiques beaucoup plus clairs et ambitieux, surtout dans un contexte où le Québec ne dispose pas des pleins pouvoirs. […] Je reconnais l’effort de “débilinguisation” de l’État québécois et de l’administration. En revanche, il faudrait que le gouvernement Legault prêche par l’exemple. Durant la pandémie, tous ses points de presse se sont terminés en anglais», dénonce l’auteur.

Comme Claude Simard, Frédéric Lacroix déplore que la réforme apparaisse surtout comme un «exercice juridique». À ses yeux, le texte devrait d’abord avant tout avoir des «visées culturelles».

Élection fédérale: les politiciens devront se mouiller

«Le gouvernement se montre fier et courageux pour préserver le français au Québec. Mais une langue qui a besoin d'autant de cataplasmes réglementaires a des allures de langue moribonde», laisse tomber Claude Simard, qui rappelle que certaines mesures risquent de soulever d’importantes querelles politiques et juridiques.

Français au Québec: «Comment pouvons-nous être stupides au point de financer notre propre disparition linguistique?»
Le dépôt du projet de loi pourrait avoir de grandes incidences sur la prochaine campagne électorale fédérale, car il forcera les partis fédéraux à se positionner sur un sujet épineux. Une campagne qui pourrait être déclenchée incessamment. Le Québec ayant un poids électoral considérable dans la fédération (23% de tous les sièges à Ottawa), le fait d’appuyer ou non la réforme de la Charte française pourrait faire perdre ou gagner beaucoup d’appuis aux formations dans la course. Qu’en dira le Premier ministre Justin Trudeau, le chef du Parti libéral du Canada?

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