Alors qu’un rapport commandé par Kigali assure que la France «porte une lourde responsabilité» dans le génocide «prévisible» des Tutsis en 1994 au Rwanda et refuse toujours de reconnaître son rôle dans cette tragédie, le Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, a défendu l’opération Turquoise dans une interview à Paris Match.
Le rôle français dans le conflit
Interrogé sur les intérêts français au Rwanda, l’ancien chef de gouvernement explique que ce pays africain francophone, étant un territoire colonisé par la Belgique qui s‘en est «désintéressée», s’est tourné «vers la France qui lui a apporté son concours à la fois militaire et économique, concours qui a été renforcé à mesure que les tensions internes s’aggravaient à partir des années 1990».
En 1993, l’année précédant le génocide, Paris soutenait le gouvernement rwandais en agissant en même temps pour favoriser un accord entre les différentes parties. Toutefois, «l’espoir né des accords d’Arusha n’a guère duré», souligne M.Balladur, se rappelant de l’assignation des Présidents burundais et rwandais le 6 avril 1994.
«Alors, le désordre a gagné le pays tout entier et les massacres entre les communautés ont atteint essentiellement les Tutsis jusqu’à constituer un véritable génocide, sans oublier que de nombreux Hutus aussi ont été tués», a-t-il expliqué au média.
Trois solutions pour la France
L’ex-Premier ministre a évoqué trois solutions qui se sont proposées sur la table de Paris. La première: une intervention militaire pour soutenir l’armée hutu, considérée comme responsable du génocide des Tutsis et affronter le Front populaire rwandais. La deuxième: ne rien faire et ne pas se mêler du conflit. La troisième: intervenir avec une opération humanitaire, «excluant de se poser en arbitre entre les deux forces rivales et faisant tous ses efforts pour faire cesser le génocide».
La dernière option a été préférable pour M.Balladur qui rappelle qu’au printemps 1994 l’opinion sur la situation rwandaise était divisée en France car «à droite comme à gauche, nombreux étaient ceux qui étaient favorables au soutien des Hutus et une intervention en leur faveur».
«Cette position présentait de grands risques, nous faire prendre parti dans une guerre civile, procéder à une expédition militaire aux allures de guerre coloniale qui nous aurait valu l’hostilité de la plus grande partie de l’opinion africaine et internationale», a-t-il noté. «Il ne fallait donc pas que notre armée intervînt autrement que pour empêcher le génocide.»
Questions autour de l’opération Turquoise
Autorisée par la résolution 9291 du 22 juin 1994 du Conseil de sécurité, l’opération Turquoise «ne remplissait pas une tâche de police, elle avait une action humanitaire», souligne le responsable.
«Elle a été calomniée alors qu’elle fût admirable de courage et de générosité. Grâce à elle des milliers de vies ont été sauvées. […] Turquoise n’était pas une opération à but militaire, c’était une mission de sauvetage et d’apaisement», a martelé M.Balladur.
Interrogé sur le sujet sensible de «ceux qui accusent la France d’avoir laissé filer les génocidaires», l’ancien Premier ministre est sorti de ses gonds en voulant défendre la mission française.
«L’armée française n’était pas là pour faire la police! Le mandat de l’Onu ne nous y autorisait pas. On a dit qu’il aurait fallu les livrer à la justice, mais quelle justice? Il n’y avait plus de gouvernement! Quand des hommes viennent dire "protégez-moi, je suis menacé", on n’a guère le temps de vérifier le passé de chacun», a-t-il justifié.
«Qui parmi les puissances a fait plus que la France pour arrêter le génocide? Personne. Qui même a fait autant que la France pour arrêter le génocide? Personne non plus», s’est-il emporté. «Et aujourd’hui dans des formules quelque peu confuses l’on affirme tantôt que la France est responsable du génocide et tantôt qu’elle n’en a pas été complice ce qui n’est guère cohérent. Elle n’est ni l’une ni l’autre, la véritable responsabilité est celle des Hutus et des Tutsis qui se sont affrontés dans la violence en refusant de s’entendre et celle des forces de l’Onu qui se sont refusées à intervenir. Ce sont des moments d’hypocrisie collective dont l’histoire est coutumière. Le devoir de vérité ne s’impose pas uniquement à la France.»
Rapport rwandais accusant la France
Commandé en 2017 par le Rwanda au cabinet Levy Firestone Muse, le rapport de 600 pages qualifie la France de «collaborateur indispensable» du régime hutu qui a orchestré le massacre en trois mois de plus de 800.000 personnes, essentiellement au sein de la minorité tutsi, selon les chiffres de l'Onu.
L’enquête rejette par ailleurs l'idée que Paris était «aveugle» face au génocide qui se préparait, comme l'a récemment conclu une commission d'historiens français dirigée par Vincent Duclert et mise sur pied par Emmanuel Macron.