Nord Stream 2 de nouveau bloqué: les écologistes, idiots utiles des Américains?

Le chantier du gazoduc entre la Russie et l’Allemagne est de nouveau bloqué, à quatre mois du départ d’Angela Merkel. Aux sanctions américaines sont venues se greffer de nouvelles plaintes d’associations de défense de l’environnement. Simple contretemps ou coup de grâce? Politiquement, le temps joue contre le projet.
Sputnik

La pose des conduites de gaz du Nord Stream 2 dans la zone économique exclusive allemande de la Baltique devra attendre. Du fait de nouvelles sanctions extraterritoriales du Congrès des États-Unis? Non, c’est maintenant la faute à une action intentée en justice par le Syndicat de conservation de la nature et de la biodiversité (NABU).

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Ayant un effet suspensif, cette plainte a bloqué l’avancée des travaux du côté allemand jusqu’à la fin du mois mai au moins, à en croire le service presse de l’Agence fédérale maritime et hydrographique (BSH), dont le permis délivré en mars 2018 à l’opérateur de Nord Stream 2 est visé. En cause: le risque que ces travaux, sur un tronçon de 16,5 kilomètres, ne détruisent les habitats naturels du fond marin, sur une superficie équivalente à plus de 16 terrains de football. À titre de comparaison, un seul chalut de bateau de pêche racle le plancher océanique sur une largeur équivalente à celle d’un terrain de foot.

L’ONG n’en est pas à son coup d’essai. En janvier 2018, elle avait adressé avec le Fonds mondial pour la nature (WWF) une lettre commune aux parlementaires de la majorité. «Près de 4.000 personnes ont signé notre lettre!», rappelle fièrement sur son site cette association qui revendique 720.000 membres.

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Deux mois plus tard, celle-ci intentait, sans succès, une action en justice auprès du tribunal administratif de Greifswald, en Poméranie. Cette nouvelle action sera-t-elle couronnée de succès? Peu importe. Avec 55 millions d’euros de recettes annuelles, l’ONG a les moyens de perdre en justice. Le plus important est ailleurs: le chantier est à l’arrêt le temps de l’affaire. Une façon de jouer la montre, à quatre mois des élections législatives qui verront le Bundestag renouvelé et Angela Merkel quitter la scène politique après 15 ans de règne.

«Nord Stream 2 va passer une période quelque peu difficile. Il faut s’attendre à ce que le projet soit gelé», explique à Sputnik Jacques Percebois, avant de nuancer: «arrêté, je ne crois pas, car cela serait trop coûteux pour tout le monde. Après tout, les investissements qui prennent du temps à entrer en fonctionnement cela existe, on le voit avec l’EPR de Flamanville», relativise-t-il.

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Pour président du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN), s’«il y a des incertitudes» autour de Nord Stream 2, l’une d’entre elles vient du rôle que les écologistes pourraient jouer dans la future majorité parlementaire. Actuellement dans la coalition au pouvoir, ils tiennent les rênes de la politique énergétique du pays. En 2011, lors de précédentes élections législatives, ce sont eux qui avaient forcé la main d’Angela Merkel pour qu’elle sorte l’Allemagne du nucléaire. Conserver sa place de Chancelière cinq ans de plus en échange de la fermeture de toutes les centrales atomiques du pays, tel était le deal électoral.

Depuis, les écologistes du Bundestag ne manquent pas de mettre la pression sur les pays voisins, de la Pologne à la France, pour les pousser à renoncer à leurs projets de centrales ou à fermer celles existantes, à l’exemple de celle de Fessenheim en France. À la veille d’un nouveau scrutin, la donne s’est encore accentuée en leur faveur. Dans les sondages outre-Rhin, les Verts allemands sont donnés gagnants et pourraient ainsi, dès septembre, prendre la succession d’Angela Merkel à la tête de la première puissance économique européenne.

Pour autant, cette formation du centre gauche allemand pourrait ne pas remettre en cause le projet Nord Stream 2, selon Jacques Percebois. Notre interlocuteur les estime en effet «plus pragmatiques» que leurs homologues tricolores. «Leur position seramieux vaut du gaz que du charbon», affirme-t-il, pensant que le futur exécutif allemand devrait rapidement être rattrapé par la réalité énergétique du pays.

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Le gazoduc doit en effet permettre à l’Allemagne de tourner la page du nucléaire, ou plus précisément du charbon et du lignite qui en ont pris le relais. Avec la fermeture d’ici 2022 des sept derniers réacteurs allemands, le pays devra importer encore davantage d’énergie. Problème, les voisins risquent de ne pas être en mesure de satisfaire cette nouvelle demande. La Belgique, suite à un accord électoral avec les écologistes, prévoit également d’arrêter ses quatre réacteurs d’ici 2025. Opérés par Engie, ceux-ci fournissaient pourtant 50% de l’électricité consommée dans le royaume.

Quant à la France, elle a acté la fermeture de douze réacteurs, en plus des deux de Fessenheim, d’ici 2035, soit le quart du parc actuel. Bref, le nord de l’Europe pourrait vite, sans alternative énergétique viable, manquer de jus.

«Je pense que les choses vont changer si on a affaire à des blackouts en série. Ce n’est pas du tout impossible en Europe si on continue sur cette lancée», estime Jacques Percebois. Même sans cela, «les prix de l’électricité montent fortement à l’heure actuelle sur le marché Spot», souligne-t-il.

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Or, en Allemagne, les alternatives énergétiques viables pourraient rapidement manquer. Alors que le nucléaire n’émet pas de CO2, Berlin a massivement fait appel à ses centrales thermiques. Dans un tel contexte, le gaz naturel est une alternative moins polluante au lignite (16% de l’électricité produite) et au charbon (7%).

Quant aux énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque) les investissements massifs opérés depuis 2011 sont pointés du doigt, tout particulièrement pour le coût exorbitant qu’ils ont représenté pour le contribuable allemand. Entre 2011 et 2017, 160 milliards d’euros d’argent public auraient été investis outre-Rhin, selon un rapport de la Cour fédérale des comptes (Bundesrechnungshof), qui a sévèrement épinglé les dépenses effectuées dans la transition écologique. Un montant considérable pour couvrir 23,5% de la production d’électricité allemande avec l’éolien et 8,9% avec le photovoltaïque.

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Ne pas achever Nord Stream 2 qui devait prendre leur relais, devrait repousser cette échéance ou booster les importations de GNL, notamment depuis les États-Unis. Gros producteurs de gaz de schiste, son extraction ainsi que sa liquéfaction puis sa regazéification sont des processus eux-mêmes peu respectueux de l’environnement… et particulièrement gourmands en électricité.

«Il y a un élément qu’il faut avoir en tête: les Américains ont actuellement beaucoup de gaz à exporter, mais les réserves ne sont pas considérables. Ils ont des besoins nationaux et ont besoin d’exporter pour des raisons de rentabilité. À long terme, les fournisseurs de pétrole et de gaz de l’Europe ont également des problèmes d’épuisement des ressources. Beaucoup de fournisseurs énergétiques de l’Europe vont avoir des baisses de production», met par ailleurs en garde le président du Creden.

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Au-delà de ces considérations de production, les détracteurs du gazoduc russe l’accusent de diviser l’Europe entre ceux qui sont prêts à dépendre de Moscou pour leur gaz et les autres. Jacques Percebois voit une autre ligne de fracture, dessinée par l’intransigeance de Berlin vis-à-vis des choix de ses voisins. «La France était très favorable au projet Nord Stream 2», rappelle-t-il, Engie étant l’un des partenaires européens engagés dans ce projet, à hauteur d’un milliard d’euros d’investissement. «Or, depuis quelque temps, on a le sentiment que l’enthousiasme français s’est estompé. Je pense que, pour partie, cela tient au fait que les pouvoirs publics français sont agacés de la position allemande» sur l'atome, enchaîne le président du Creden.

Une allusion au lobbying de l’Allemagne auprès des instances européennes contre le nucléaire des Français. Bref, le Nord Stream est plus le reflet des dissensions européennes sur leurs choix d’approvisionnement énergétique que leur cause.

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