Comme à son habitude, le palais de Carthage n’a annoncé le déplacement du Président Kaïs Saïed pour une visite officielle de trois jours en Égypte, du 9 au 11 avril, que la veille du départ. Le groupe réduit et tout aussi discret de conseillers diplomatiques autour du chef de l’État entend ainsi prévenir le danger des commentaires polémiques qui ne manqueraient pas de fuser de partout au sujet d’une visite qui suscite, pour le moins, de nombreuses interrogations dans l’opinion publique en général et au sein des courants idéologiques liés par conviction ou par alliance à l’islamisme politique, plus particulièrement.
Depuis la prise du pouvoir par le général Al-Sissi en effet, le discours ambiant autour de l’Égypte évite soigneusement, dans les médias comme dans les tribunes partisanes, d’approfondir l’analyse des perspectives politiques des relations tuniso-égyptiennes, si bien que seuls les échos des contacts footballistiques emplissent les colonnes des gazettes, les programmes de l’audiovisuel et les bavardages dans les cafés de commerce.
De la Libye… aux sources du Nil
Seulement, il y a eu comme un tacite consensus afin que soit tu un tel sujet, au sein des principales formations politiques. Certes, Ennahdha, principal courant islamiste, alignant alors le plus grand nombre de députés à l’Assemblée législative, a clairement condamné «sur le coup» le coup d'État.
Mais les assassinats politiques de deux figures de la gauche tunisienne, qui l'affaiblirent politiquement, et son souci de maintenir et de sauvegarder son entente avec le Président Béji Caïd Essebsi et le parti Nidaa Tounes que celui-ci venait de créer pour conquérir la présidence, l'amenèrent bientôt à faire preuve de retenue. De fait, Ennahdha, à contre cœur, s’est abstenu de voler au secours des «Frères» de la vallée du Nil autrement que par une position de principe et quelques sorties médiatiques sporadiques. Les islamistes patentés ayant fait montre, ainsi, d'une certaine prudence, ce sont les assimilés qui se sont déchaînés pourfendant, depuis lors, «la dictature militaire» du «général putschiste». Des attaques qui se sont cristallisées, plus tard, avec la crise du Golfe de 2017, quand les amis du Qatar et ceux des Émirats et de l'Arabie saoudite se sont alors livrés en Tunisie à une rude bataille par médias et réseaux sociaux interposés.
L'heureux épilogue qu'a connu cette dernière crise ne pouvait permettre à Ennahdha de revoir son ton à la hausse. On a même entendu le 13 avril un cacique de ce parti, Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice et à présent président du groupe parlementaire d'Ennahdha, nier l’appartenance de son parti à l’organisation des Ikhwan al-muslimin (Frères musulmans*) fondée en 1928 par l’Égyptien Hassan al-Banna! Une déclaration concomitante avec le réchauffement des relations entre l'Égypte et la Turquie d'Erdogan, allié sempiternel d'Ennahdha. En revanche, ce sera à l'ancien Président Moncef Marzouki et aux mouvances islamo-révolutionnaires de jeter l'opprobre sur Kaïes Saïed qui «ne représente pas la révolution qui lui a permis d'arriver au pouvoir».
Rejet de l'islamisme
Toutefois, à part ces points d’accord avec son homologue égyptien autour des principaux problèmes de la région d’Afrique et du Proche-Orient, Kaïs Saïed a attendu d’être dans ses pénates pour révéler la teneur de ce que les deux chefs d'État se sont dit quant au souci que constitue pour chacun d’eux la présence et l’impact de l’islam politique.
*Organisation terroriste interdite en Russie