La première élection latino-américaine de l’ère Joe Biden s’est déroulée comme sur des roulettes pour la nouvelle Administration étasunienne.
À la surprise générale, le candidat de droite, Guillermo Lasso, a remporté ce 11 avril, avec 52,50% des voix, le scrutin présidentiel en Équateur. Il devance Andres Arrauz, le dauphin de Rafael Correa, l’ex-dirigeant socialiste exilé, qui a obtenu 47,50% des votes, alors que ce dernier avait remporté haut la main le premier tour en février avec 32,72% des suffrages exprimés. Malgré des sondages plutôt favorables au second tour, le «dégagisme» et le front anti-Correa ont finalement fait pencher la balance pour son rival conservateur.
«Les États-Unis sont forcément satisfaits du résultat. C’est un pays de plus dans leur alliance avec la Colombie, dont Lasso est très proche. Donc pour les États-Unis, c’est indéniablement une bonne nouvelle», estime Christophe Ventura, auteur de «L’éveil d’un continent: Géopolitique de l’Amérique latine et de la Caraïbe» (Éd. Armand Colin).
Ce petit pays très divisé politiquement de 17,4 millions d’habitants coincé entre le Pérou et la Colombie, en proie à une crise économique aggravée par la crise sanitaire, fait l’objet d’une intense guerre d’influence entre les États-Unis et la Chine. À l’époque corréiste (2007-2017), Pékin était ainsi un «partenaire stratégique», une relation que Donald Trump avait tenté de surmonter en octroyant des prêts à Quito.
L’Équateur, nouvelle tête de pont de Washington?
Au-delà des programmes politiques, s’exprimait dans cette campagne un clivage géopolitique entre la droite équatorienne, c’est-à-dire être «pro-américain avec Lasso» et les partisans, menés par l’ancien Président Rafael Correa, d’une stratégie de diversification diplomatique, notamment avec la Chine. La proximité de Guillermo Lasso, le nouveau chef de l’État équatorien «avec les États -Unis est tout à fait marquée» observe Ventura. Banquier de condition, le leader du mouvement Créer des opportunités (Creo) a d’ores et déjà exprimé ses préférences «claires et nettes» pour des accords et des prêts auprès «du Fonds monétaire international et de tout le système financier international.»
Il s’inscrit dès lors en continuité avec l’impopulaire Président sortant, Lenin Moreno, initialement de gauche tendance corréiste et qui s’est retourné depuis contre Rafael Correa. Élu en 2017 avec la promesse de poursuivre la «Révolution citoyenne», celui-ci s’était au contraire rapproché de Washington et du FMI en concluant en 2019 et 2020 des prêts respectifs de 4,2 et 6,5 milliards de dollars, tout en livrant Julian Assange, réfugié à l’ambassade équatorienne, qualifié de «hacker misérable» à la justice britannique en 2019.
USA et Chine se disputent l’influence en Amérique centrale
Durant une décennie, l’ancien professeur d’économie Rafael Correa s’était fait le héraut du «socialisme du XXIe siècle» en stabilisant le pays et en s’appuyant sur la rente pétrolière pour réduire les inégalités chroniques, à l’instar de Hugo Chavez au Venezuela. Celui-ci avait également rompu avec le FMI et fermé la base américaine de Manta en 2009 afin de «bouter les “gringos” hors du pays».
Échangeant ainsi son pétrole avec Pékin contre des liquidités, Correa souhaitait réduire la dépendance vis-à-vis de Washington. Cette relation s’est notamment traduite par la construction en 2016 de la centrale hydroélectrique de Coca Codo Sinclair, effectuée par un consortium mené à 89% par l’entreprise de construction chinoise Sinohydro. Puis son successeur Moreno a adhéré en 2018 aux nouvelles routes de la Soie. Cette pénétration chinoise tant au Venezuela qu’en Bolivie et en Équateur inquiète Washington, affirmait à notre micro Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et auteur de Venezuela. Chronique d’une déstabilisation (Éd. Le Temps des cerises). Investissant massivement en Amérique latine, la Chine est ainsi venue concurrencer l’influence américaine dans la région:
«La stratégie de Rafael Correa et de la gauche équatorienne visait à diversifier les alliances de l’Équateur, et dans ce cadre-là, il y a effectivement eu des rapprochements marqués avec la Chine. Il y a eu des ruptures avec les États-Unis et le FMI, mais les liens sont restés ouverts, des entreprises américaines sont restées là-bas. Cette stratégie de diversification passait par un rapprochement avec la Chine, mais ce n’est pas ou l’un ou l’autre», relativise Christophe Ventura.
Pour Ventura, la gauche reste donc la «première force politique du pays», avec 47% de la population, tandis que le nouveau Président équatorien a surtout réuni «tous les antis, bien au-delà de ce qu’il représente, de son poids politique et de celui de la droite équatorienne», comme un «réflexe du tout sauf retour au correisme». Il en veut ainsi pour preuve la faible représentation du Creo (le parti présidentiel) au Parlement, avec seulement 12 sièges sur 137. Celui-ci sera ainsi dans l’obligation de négocier avec le parti indigène Pachakutik, deuxième force législative depuis les élections de février, derrière l’Union pour l’espérance (Unes) de M. Arauz.