Le tweet de Nicolas Maduro du 8 janvier a suscité un tollé. Demandant à sa population de défendre ses droits historiques sur l'Essequibo, le Président vénézuélien s’est attiré les foudres de la CARICOM, la Communauté Caribéenne, du Canada et… des États-Unis.
Concentrémonos en un gran esfuerzo por la unión nacional y preparémonos para la defensa integral de los derechos de Venezuela sobre la Guayana Esequiba, que nos pertenece históricamente por la lucha heroica de nuestros Libertadores y Libertadoras. pic.twitter.com/m2FrvTSe1d
— Nicolás Maduro (@NicolasMaduro) January 8, 2021
Région correspondant aux deux tiers de l’actuel Guyana, ancienne colonie britannique voisine de Caracas, l’Essequibo fait depuis plus d’un siècle l’objet d’un litige territorial entre les deux pays. Litige porté plusieurs fois devant des tribunaux internationaux. Chaque verdict a confirmé la souveraineté du Guyana sur ce territoire. Sauf que la découverte en 2015 de l’immense champ pétrolifère de Liza-Stabroek au large des côtes de l’Essequibo a durci les positions des deux pays. Nicolas Maduro parlant même de reconquérir la zone! Le 12 janvier, le Guyana et les États-Unis ont signé un accord de coopération militaire. Ce pacte ne devrait pas aplanir les tensions régionales.
Le pétrole de l’Essequibo exploité par Exxon Mobil
Joint par Sputnik, Romain Migus, journaliste installé à Caracas, fondateur du site d’information Les Deux Rives, débroussaille les enjeux complexes tant historiques qu’économiques de ce conflit frontalier. Caracas considère «la partie qui va jusqu’au rio Essequibo», c’est-à-dire la zone la moins peuplée, comme faisant «partie intégrante du Venezuela». Alors que le Venezuela n’a «pas de poste-frontière» sur l’actuelle délimitation, le Guyana n’a pas forcément «les moyens de contrôler une frontière très longue». Longé par le fleuve Essequibo, ce territoire «très riche, notamment en or et en diamant», a été disputé dès le XVIIIe siècle entre la couronne espagnole, maîtresse du Venezuela, et la Hollande, implantée au Guyana. Le différend se poursuivant quand les Britanniques ont supplanté les Néerlandais au Guyana. Les indépendances du Venezuela en 1811 et du Guyana en 1966 n’y changeront rien! La découverte de «gisements pétrolifères très importants offshore dans la zone en réclamation» en 2015 a même aggravé les tensions:
«Évidemment, les enjeux ne sont plus les mêmes. Des compagnies pétrolières lorgnent cette potentielle richesse. Exxon d’une part, mais aussi des compagnies anglaises.»
«On voit les derniers soubresauts de l’Administration Trump qui signe un accord avec le Guyana, en présence de l’amiral Craig Faller, le commandant du SouthCom [United States Southern Command, état-major interarmes américain pour l’Amérique latine et les Caraïbes, ndlr]. L’idée étant que, s’il y a des frictions au-delà du diplomatique, les États-Unis s’engagent du côté du Guyana», selon Romain Migus.
Un message clair à destination de Nicolas Maduro de ne pas poursuivre l’escalade. Au-delà de ce conflit territorial, les relations entre Washington et Caracas sont glaciales depuis l’avènement de Donald Trump à la Maison-Blanche. Mis en place en 2019, l’embargo américain sur le pétrole vénézuélien étouffe l’économie nationale, forçant plus de 5 millions de personnes à quitter le pays.
La possibilité d’un conflit armé?
En septembre 2020, Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, accomplissait une tournée en Amérique du Sud. Visant à renforcer la pression pour un changement de régime au Venezuela, le périple passait par le Guyana, le Brésil et la Colombie. Trois États très proches des États-Unis et qui encerclent le Venezuela. Romain Migus rappelle ainsi la présence de militaires américains en Colombie et le souhait régulier de Jair Bolsonaro d’en «découdre militairement». Alors le Guyana, un nouveau Koweït pour les Américains? La comparaison n’est pas si folle pour le journaliste. «On a encore les mêmes acteurs», la présence de l’Axe du Mal et les mêmes conséquences dévastatrices pour l’ensemble de la région.
«Le Venezuela est quand même un pays armé. Le déclenchement d’un foyer de guerre ne menacerait pas que le Venezuela, mais toute la région, en en déstabilisant une grande partie. Il y a aussi des intérêts contraires dans chacun des pays pour que l’escalade n’aille pas jusqu'à son terme.»
«La zone en réclamation va devenir un casus belli et va s’inviter bien évidemment dans l’opération de changement de régime initiée avec Juan Guaido.»
Certes, l’ancien président de l’Assemblée nationale a depuis perdu de sa crédibilité auprès des chancelleries occidentales. Mais il avait été accusé par la justice vénézuélienne de de haute trahison et de s’être compromis avec le Guyana, en ayant voulu «livrer» l’Essequibo aux multinationales. Thème extrêmement «sensible» au Venezuela, l’Essequibo a donc été l’occasion pour Nicolas Maduro de fédérer sa population au-delà des clivages politiques. Il compte ainsi «unifier le chavisme avec l’opposition nationaliste» qui n’est pas prête à brader le territoire.