Nord Stream 2 n’est visiblement pas arrivé au bout de son chemin de croix. Après les multiples sanctions américaines et leur renforcement annoncé, et celles, opportunistes, prises par les Polonais, les Français comptent toujours peser sur l’avenir du gazoduc, quitte à prendre le risque de froisser Berlin.
«On a des discussions avec les Allemands car on n’a pas la même position de départ […] et on essaie de trouver une posture commune», a ainsi concédé ce 2 avril Clément Beaune, au micro de Bourdin Direct sur BFMTV et RMC.
Il va sans dire que le 24 mars, Antony Blinken a confirmé qu’il n’y avait «aucune ambiguïté» quant au fait que l’administration Biden entendait couler Nord Stream 2. Le secrétaire d’État américain a ainsi déclaré à la presse avoir mis en garde le ministre allemand des Affaires étrangères que de nouvelles sanctions américaines seraient prises si le gazoduc était achevé. Le tout au nom de la «sécurité énergétique européenne». Ce à quoi les responsables diplomatiques allemands se sont contentés de répondre que «Berlin espérait que la nouvelle administration américaine dirigée par le Président Joe Biden aurait une approche plus réaliste de North Stream 2».
Gaz de schiste et soutien financier européen à l’Ukraine: le double agenda américain
Mais la sécurité énergétique européenne est-elle vraiment le souci premier de Washington? Après tout, les États-Unis n’ont jamais autant importé d’hydrocarbures russes. À observer les arguments des opposants aux projets Nord Stream 2, le gaz russe n’est dangereux pour les Européens que s’il ne transite pas par l’Ukraine. Ce passage génère en effet une manne financière importante pour Kiev qui craint de la perdre avec le développement d’un pipeline contournant son territoire. Ironie du sort, c’est le manque de fiabilité récurrente des autorités ukrainiennes, et ce bien avant la crise politique de 2014, qui a contribué au développement d’autres voies énergétiques.
Mais surtout, le gaz russe est perçu par les Américains comme un concurrent de leur propre gaz. Nul n’ignore que les États-Unis sont récemment devenus les premiers producteurs et exportateurs de gaz et de pétrole au monde. N’appartenant à aucune organisation intergouvernementale (type OPEP) qui pourrait les pousser à limiter leur production, les compagnies américaines entendent bien écouler une bonne partie de celle-ci en Europe. Mais le transport par méthanier rendra toujours ce gaz de schiste liquéfié plus cher que le gaz fourni par un pipeline, en l’occurrence russe.
Une opposition française de longue date
Bref, faire capoter Nord Stream 2 revient pour Washington à faire d’une pierre, deux coups. Au regard de ces éléments, que penser des propos du chargé des Affaires européennes:
«La question n’est pas de céder devant l’Allemagne. Il s’agit de discuter avec eux [les Allemands, ndlr], avec l’Ukraine et avec la Russie pour ne pas accroître notre dépendance gazière envers Moscou et ne pas sacrifier les intérêts de l’Ukraine», développe Clément Beaune auprès de Jean-Jacques Bourdin.
Pour autant, l’opposition française au projet de gazoduc n’est pas récente. Déjà début 2019, Emmanuel Macron avait créé la surprise à la veille d’un vote à Bruxelles sur la directive gaz. Celle-ci visait à élargir les règles européennes de la concurrence (en l’occurrence à garantir aux États limitrophes un accès aux pipelines et gazoducs ainsi qu’une séparation des activités) aux lignes d’approvisionnement énergétique entre un État membre et un État hors UE. Jusque-là discrète, la France avait soudainement fait part de son intention de soutenir l’adoption de ce texte qui aurait porté un coup dur à un projet bilatéral tel que Nord Stream 2. Moins de 48 heures plus tard, Paris et Berlin trouvaient un accord.
Le locataire de l’Élysée doit en effet bientôt se rendre à Kiev pour y rencontrer son homologue, une première depuis la fin de l’URSS. Selon le site Intelligence Online, proposer à la vente des Rafale serait en haut de l’agenda d’Emmanuel Macron. Un tel contrat de plusieurs milliards d’euros n’est pas dénué de risque d’instrumentalisation, comme peut en témoigner le précédent du chantage de la Pologne sur la livraison des Mistral à la Russie.
Quant au gazoduc, les travaux ont pu reprendre fin 2020 afin d’achever la dernière centaine de kilomètres restant sur les 2.460 qu’il parcourt sous la mer Baltique. Sur place, l’opérateur du projet Nord Stream 2 AG observe une augmentation de l’activité des navires de guerre et des aéronefs militaires «violant la zone de sécurité autour du site de construction». Le groupe rapporte notamment que, le 28 mars, un sous-marin aurait fait surface à moins d’un mille nautique du Fortuna, un navire poseur de canalisations. Les embarcations civiles ne seraient également pas en reste, Nord Stream 2 AG déplorant le «caractère provocateur» que certaines d’entre elles prendraient. Nul doute que ce gazoduc n’a pas fini de faire parler de lui.