«Un gouffre béant.» C’est par ces termes que Sébastien Laye, entrepreneur dans l’immobilier et économiste à l’Institut Thomas More, décrit l’écart entre l’Europe et les États-Unis en matière de relance économique. Signataire d’une tribune dans Capital, il y exprime son inquiétude de voir l’Europe trop pusillanime pour faire repartir une machine économique en panne face au Covid-19.
Sa préoccupation est d’autant plus vive que la Cour constitutionnelle allemande a suspendu le 26 mars le processus de ratification du Fonds de relance européen. Le temps d’examiner un recours déposé par cinq plaignants contre ce plan d’investissement voué à creuser la dette publique. Bref, autant d’atermoiements qui reportent encore la mise en place d’un instrument inédit, fruit de difficiles négociations entre les Vingt-Sept durant l’été 2020. Pour rappel, ce mécanisme de dette commune d’un montant de 750 milliards d’euros doit voir une partie de cette somme (312,5 milliards) être reversée sous forme de subventions. De quoi notamment aider les pays les plus touchés par une crise sanitaire qui n’en finit plus sur le Vieux Continent.
Des aides directes pour les ménages absentes en Europe
Mais pour le moment, l'instance suprême allemande «a décidé que le texte de loi [...] ne devait pas être paraphé par le chef de l'État». Dans un communiqué, elle a expliqué qu'une décision sur ce recours en référé était attendue. Et les milliards d’euros attendront avec elle. Sébastien Laye juge de toute façon ce plan de relance insuffisant: «Il s’apparente plus à un soutien à la dépense publique normale qu’à un vrai plan d’investissement de long terme; un total d’aides directes de 390 milliards, avec un impact pour la France de 0,75% par an à partir, au mieux, du deuxième semestre 2021: probablement assez pour maintenir notre État Providence mais rien pour élever durablement notre croissance.»
En plus du plan de relance européen, Emmanuel Macron a décidé au niveau national de mettre en place «un plan de relance exceptionnel de 100 milliards d’euros», «déployé par le gouvernement autour de trois volets principaux: l'écologie, la compétitivité et la cohésion». Petits bras? L’économiste Jacques Sapir estimait récemment au micro de Russe Europe Express, sur Sputnik, que la comparaison avec les États-Unis était «très inquiétante». L’expert relevait notamment le caractère «extrêmement important» du plan de relance décidé par l’Administration Biden: 1.900 milliards de dollars.
D’après les calculs de Jacques Sapir, Washington a fait le choix de dépenser l’équivalent de 14.000 euros par habitant en dépense budgétaire contre 4.000 pour l’Allemagne et 2.700 pour la France. «Là où en 2020 les États-Unis ont dépensé 10% de leur PIB (alors que les mesures sanitaires ont été beaucoup plus légères) largement en soutenant directement les ménages, la France a consacré 5% de son PIB seulement, et rien directement pour les ménages», souligne Sébastien Laye dans Capital.
En effet, depuis le début de la pandémie, les États-Unis ont distribué à plusieurs reprises des aides directes aux ménages. Dernièrement, ce sont 280 millions d’Américains qui ont reçu de l’argent du gouvernement fédéral. La plupart des économistes s’accordent pour dire que les 1.900 milliards de dollars du plan de relance Biden vont booster une économie qui sort la tête de l’eau.
Malgré un coup d’arrêt lié aux intempéries qui ont frappé le pays en février, les chiffres demeurent sur une dynamique encourageante. «Gel hivernal avant la floraison printanière», a lancé plein d’optimisme Gregory Daco, chef économiste d'Oxford Economics. Contrairement à une Europe où la confiance des consommateurs est entamée par une sensation de flou quant à l’avenir, une enquête de l'université du Michigan, publiée le 26 mars, montre que le même indicateur s’est nettement amélioré en mars du côté de l’Oncle Sam.
Pic de pouvoir d’achat aux USA
Pendant que les campagnes de vaccination patinent dans de nombreux pays européens, dont la France et l’Allemagne qui sont notamment confrontées à des problèmes d’approvisionnement, les États-Unis ont une longueur d’avance. En moyenne, environ 2,5 millions de personnes sont vaccinées quotidiennement outre-Atlantique. Et une majorité de la population le sera d’ici au 4 juillet, jour de la fête nationale américaine. De quoi motiver les célébrations!
L’économie américaine se retrouve donc portée par les réouvertures en cascade des restaurants, cinémas, salles de gym et autres spas ainsi que par l’afflux du monumental plan Biden. De quoi voir en rose l’avenir économique. «Quels que soient les dégâts enregistrés en février, nous nous attendons à un solide rebond en mars et en avril», a expliqué Ian Shepherdson, chef économiste chez Pantheon Macroeconomics, cité par l’AFP.
L’un des volets les plus importants du plan Biden comprend la distribution de chèques d’un montant de 1.400 dollars par personne et enfant à charge pour les individus gagnant moins de 75.000 dollars par an et les couples mariés dont les revenus ne dépassent pas 150.000 dollars annuels. Précédemment, le plan Trump avait déjà vu de nombreux Américains encaisser des chèques de 600 dollars.
Une différence notable avec ce qui s’est fait en Europe, comme le souligne Sébastien Laye. Il rappelle dans Capital que les Américains, «sur fond d’aides et de reprise économique, enregistrent un pic de leur pouvoir d’achat jamais atteint depuis 1999: et, avec l’épargne accumulée (excédent d’épargne très rare dans une culture américaine où chacun pense rapidement trouver un emploi) pendant la crise, ce pouvoir d’achat aura un fort soutien au cours des dix prochains mois».
Une telle manne financière place les États-Unis dans la position idoine pour redresser rapidement la barre. Contrairement à l’Europe. La Commission européenne table sur un PIB en croissance de 3,8% en 2021 contre les 4,2% précédemment anticipés. «Les perspectives à court terme de l'économie européenne semblent plus faibles que prévu à l'automne dernier alors que la pandémie a resserré son emprise sur le continent», expliquait l'exécutif européen en février dernier. Aux États-Unis, c’est tout l’inverse. La Réserve fédérale vient de relever sa prévision de croissance à 6,5% pour 2021.
Les pays européens se trompent-ils de stratégie? C’est clairement le cas pour la France à en croire Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, spécialiste des outils de financement publics et directeur de l’Institut Rousseau, et son collègue et analyste politique Lenny Benbara. Ils ont récemment publié une tribune dans L’Obs afin de critiquer le rapport de la commission pour l’avenir des finances publiques dirigée par Jean Arthuis, ancien ministre de l’Économie de Jacques Chirac. Cette dernière appelle à mieux maîtriser la dépense publique, ce qui s’apparente à de l’austérité pour les deux experts de l’Institut Rousseau. En résumé, un chemin bien différent de celui emprunté par Washington. Et une bien mauvaise idée pour Nicolas Dufrêne et Lenny Benbara:
«Ce ne sont pas des recettes du passé dont nous avons besoin. Il nous faut au contraire une nouvelle approche, innovante, fondée sur de grands plans d’investissements et l’utilisation de l’arme monétaire pour affronter les grands défis du XXIe siècle, à commencer par la reconstruction écologique.»