Blocage du compte Facebook de Maduro: le réseau de Mark Zuckerberg, bras armé de la politique étrangère américaine?

Après Donald Trump, c’est au tour de Nicolas Maduro de se voir temporairement banni de Facebook pour avoir fait l’éloge de l’efficacité contre le Covid-19 d’un médicament, le Carvativir. Une décision lourde de sens pour la firme de Menlo Park, accusée par Caracas de prolonger l’embargo américain.
Sputnik
«Facebook n’a jamais censuré aucun des messages des opposants à Maduro et en particulier de Juan Guaido et de son gouvernement parallèle qui se trouve en Colombie et aux États-Unis, y compris des appels aux forces armées à renverser Maduro», constate d’emblée Maurice Lemoine, journaliste spécialiste de l’Amérique latine.

Pourtant le 27 mars, le réseau social américain a bloqué durant trente jours le compte officiel de Nicolas Maduro, Président en exercice du Venezuela, et supprimé sa vidéo vantant les mérites du médicament Carvativir contre le Covid-19. Le motif invoqué par le géant des GAFA? «Avoir violé nos politiques de désinformation […] qui pourraient mettre les gens en danger.» La firme de Menlo Park a précisé que l’efficacité de ce traitement n’avait pas encore été démontrée par des études médicales.

La suppression définitive des comptes Facebook, Twitter et Instagram de Donald Trump en janvier a donc créé un précédent. Ce nouveau geste fort d’un ogre numérique à l’encontre d’un chef d’État pose en définitive un problème de souveraineté. Le ministère vénézuélien de la Communication et de l’Information n’a d’ailleurs pas tardé à le souligner, en dénonçant un «totalitarisme numérique exercé par des entreprises supranationales qui veulent imposer leur loi aux pays du monde.»

«Facebook agit dans le sens du vent»

Des multinationales qui sont tout à fait en mesure d’«imposer leur loi», étant donné leur situation quasi monopolistique. Premier réseau social au Venezuela, Facebook a atteint le chiffre de onze millions d’utilisateurs, soit plus du tiers de la population du pays, loin devant Instagram, qui appartient également à Facebook, avec 4,2 millions d’abonnés.

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Un blocage également considéré par Caracas comme une «extension» des sanctions américaines contre le Venezuela mises en place depuis 2015, visant à un changement de régime. Le Président vénézuélien s’était déjà époumoné contre le réseau social en février, l’accusant de «censure» d’une vidéo évoquant le Carvativir. «Qui dirige le Venezuela? Qui dirige le monde? Le propriétaire de Facebook?» Un point sur lequel Maurice Lemoine rejoint Nicolas Maduro:

«C’est une censure. Ce n’est pas complètement pas hasard. Facebook agit dans le sens du vent, en général. On a tous noté qu’ils avaient fermé le compte de Donald Trump, mais c’est quand Donald Trump était au sol, quand la partie était vraiment terminée pour lui.»

Le journaliste, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fait le rapprochement entre le blocage du compte Facebook de Nicolas Maduro et les récentes critiques auxquelles le vaccin Spoutnik V a dû faire face, notamment dans l’Union européenne. C’est ainsi que Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, a estimé sur TF1 le 21 mars que les Européens n’auraient «absolument pas besoin» du traitement russe.

Et chacun s’accuse mutuellement de politiser les politiques sanitaires. Une «espèce d’offensive émotionnelle» serait donc à l’œuvre, le réseau social contribuant à briser la «volonté de certains États européens ou même de la Commission européenne» afin de «faire en sorte que le Spoutnik V ne soit pas diffusé en Europe.»

Traitements, vaccins: Facebook participe à une «offensive émotionnelle»

Facebook se placerait ainsi en tant qu’«expert international en matière sanitaire», alors qu’il ne détiendrait «aucune compétence pour juger si un médicament est une escroquerie ou un médicament décent.» Maurice Lemoine précise ainsi que les autorités vénézuéliennes ont contacté l’organisation panaméricaine de la santé et l’OMS (Organisation mondiale de la santé) afin d’approfondir des études médicales sur ce fameux Carvativir, solution orale dérivée du thym découverte par le médecin Jose Gregorio Hernandez au XIXe siècle. Ne présumant en aucune manière de l’efficacité du traitement, Maurice Lemoine confie pourtant qu’il ne s’agit pas d’une «opération clandestine avec de la poudre de Perlimpinpin.»

Citant le scientifique vénézuélien qui est en train de développer ce médicament, le journaliste estime que le Carvativir est initialement «indiqué pour le traitement pour adultes et adolescents qui développent une pneumonie et qui ont besoin d’oxygène […] Il affirme que le Carvativir réduit le temps de récupération à l’hôpital et qu’il accélère la réponse immunitaire du patient.»

Les USA ont tenté de «persuader le Brésil de refuser le vaccin russe anti-Covid-19»
En janvier, Nicolas Maduro est allé même jusqu’à déclarer qu’il s’agissait de «gouttes miraculeuses», évoquant la béatification du docteur Hernandez par l’Église catholique. Pour Maurice Lemoine, le Président vénézuélien a commis une «imprudence» en s’avançant ainsi. C’était évidemment «l’erreur à ne pas faire». Si de nombreux médecins se sont montrés sceptiques à ce propos, le communiqué de l’Académie nationale vénézuélienne de Médecine prétendait en janvier que le Carvativir a un «potentiel thérapeutique contre le coronavirus», tout en appelant à la prudence et à attendre d’obtenir davantage de données.

Le variant brésilien menace Caracas

Caracas déplore officiellement 1.555 victimes et 155.663 cas déclarés du Covid-19, des chiffres contestés par l’opposition et certains médecins, qui pointent un nombre limité de tests et la saturation des hôpitaux. C’est pourtant bien moins que le voisin brésilien, le deuxième pays le plus endeuillé de la planète après les États-Unis, avec plus de 310.000 victimes à ce jour, et qui, avec son variant local, représente une «véritable menace pour le Venezuela». La situation expliquerait la mise en place d’un nouveau confinement strict dès le 21 mars.

Une deuxième vague contre laquelle le Venezuela est démuni, faute de vaccins. Ce 29 mars, le Président vénézuélien a même proposé publiquement «du pétrole contre des vaccins», la principale ressource du pays pour acheter les vaccins russes, chinois et cubains, qui ne sont pas arrivés au pays, en raison d’un problème de dettes du Venezuela envers l’OMS avec le Covax. Ce dispositif à destination des pays les plus démunis ne peut fournir à Caracas des vaccins en raison de l’impossibilité pour le pays de réunir les millions de dollars nécessaires. Rappelant notamment les 31 tonnes d’or confisquées à Caracas par la justice britannique, Maurice Lemoine pointe les responsabilités de Juan Guaido dans ce fiasco sanitaire, bien que celui-ci a récemment annoncé l’utilisation de fonds gelés afin d’acheter des vaccins:

«Tout simplement parce que le Président autoproclamé et sa clique se sont emparés des actifs vénézuéliens à l’étranger. 30 milliards de dollars ont été confisqués et jusqu’à présent, le Venezuela n’est pas en mesure de régler à l’OMS.»
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