L’Arabie saoudite cherche désespérément une porte de sortie. Jusqu’ici, le conflit yéménite lui aura coûté bien plus qu’il ne lui aura rapporté.
Ainsi, la proposition de «cessez-le-feu global dans tout le pays sous la supervision des Nations unies» n’est-elle, selon Fayçal Jalloul, rien d’autre qu’une échappatoire pour le royaume.
En atteste la défaite qu’a essuyée mi-mars la coalition menée par l’Arabie saoudite sur le mont Hilan. Une position clef dans le conflit:
«Le sommet stratégique de Hilan donne directement sur les camps militaires de Mareb», explique Fayçal Jalloul. «Les Houtis peuvent voir sans jumelles les mouvements des troupes pro-saoudiennes et peuvent les attaquer directement. La prise de ce sommet annonce la chute prochaine de Mareb. Si Mareb tombe, le conflit prend une tournure radicalement différente.»
Pour rappel, la ville de Mareb est la capitale du gouvernorat éponyme, l’un des deux principaux bassins pétrolifères du Yémen. «En la prenant, les Houtis remportent un atout majeur, tant sur le plan militaire qu’économique», souligne le spécialiste du monde arabe à l’Académie de géopolitique de Paris.
Arabie saoudite: défaites matérielles et psychologiques
Des défaites matérielles et militaires qui ont pour le moral de Riyad un effet désastreux.
«Les frappes rebelles par drones sur les installations pétrolières d’Aramco en Arabie saoudite ont mis la pression sur les dirigeants du royaume. Les Houtis ont maîtrisé ces armes-là. Ils ont tiré avec précision sur les cibles qu’ils voulaient atteindre. Cela a causé des dégâts matériels importants, mais surtout psychologiques. Riyad ne peut pas supporter cette pression psychologique pour longtemps», estime notre interlocuteur.
Selon lui, Riyad, qui a le genou à terre militairement, devait donc se donner du temps et de l’air pour revoir sa stratégie yéménite. Cette proposition de cessez-le-feu inattendue s’inscrit directement dans cette logique. «Il n’y a pas eu de discussions préalables, pas de fuite dans la presse, rien», souligne le spécialiste du monde arabe.
Les Houtis ne sont pourtant pas dupes et, conscients d’avoir le vent en poupe, ont balayé d’un revers de main cette proposition. «L’Arabie saoudite doit annoncer la fin de l’agression et lever complètement le blocus [sur le Yémen, ndlr], car mettre en avant des idées discutées depuis plus d’un an n’a rien de nouveau», a rétorqué à la proposition de cessez-le-feu saoudienne un porte-parole des rebelles houtis, Mohammed Abdelsalam, selon la chaîne des houthistes (Houtis et leurs soutiens) Al-Massirah.
Les Houtis ont les cartes en main
«Pour les Houtis, il faut que les Saoudiens se couchent davantage», estime Fayçal Jalloul. «Là, les Saoudiens proposent aux Houtis de négocier sur des bases d’avant-guerre. Une position irrecevable pour ces derniers.» Hors de question pour les Houtis de perdre des acquis payés au prix du sang.
«Si les Houtis ont lancé la rébellion au départ, c’est parce qu’ils ne voulaient pas appliquer le projet du gouvernement saoudien au Yémen, qui divise le pays en six gouvernorats et qui isole les Zaïdistes [autre nom des Houtistes, ndlr] au nord du pays, sans leur donner un accès à la mer. Les Houtis ne sont pas des enfants de chœur et ne prévoient pas de revenir en arrière», souligne notre interlocuteur.
De plus, à l’étranger, les circonstances s’avèrent de plus en plus favorables à la rébellion, diplomatiquement en position de force. En particulier depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Joe Biden, critique véhément de la guerre saoudienne au Yémen.
MBS isolé diplomatiquement
Sur fond d’assassinat de Khashoggi et de «guerre sale au Yémen», le nouveau Président américain a laissé entendre qu’il recalibrerait sa relation avec le dirigeant effectif du royaume saoudien, Mohamed ben Salmane (MBS), pour traiter directement avec son père, le roi Salmane.
«Biden a enlevé les Houtis de la liste noire du terrorisme et il veut châtier le prince héritier MBS. Lorsque le Président américain a placardisé MBS, cela a transmis à Riyad le message qu’il fallait qu’il arrête la guerre au Yémen, et plutôt rapidement», explique le chercheur à l’Académie de Géopolitique de Paris.
L’attitude américaine se serait dès lors ajoutée aux échecs militaires sur le terrain. Ne se sentant «plus autant en sécurité après les annonces et décisions de Joe Biden», MBS aurait donc été incité à changer brusquement de stratégie au Yémen, estime Fayçal Jalloul. Reste à savoir jusqu’à quel point MBS supportera une défaite pour rentrer dans les bonnes grâces nouveau Président américain.