La Russie serait-elle en passe de devenir un acteur influent au Liban? C’est en tout cas ce que laissent penser les récents entretiens de Sergueï Lavrov avec certaines forces politiques du pays. Lundi 15 mars, une délégation du Hezbollah, principal mouvement chiite du Liban, s’est rendue à Moscou pour rencontrer le ministre russe des Affaires étrangères. La semaine précédente, ce dernier s’est entretenu à Abou Dhabi avec Saad Hariri, Premier ministre du pays du Cèdre.
Le Liban intéresserait Moscou à plus d’un titre. En effet, au cours de ces échanges, il a été question de lutte contre le coronavirus, de l’impératif de former un gouvernement au Liban, de lutte contre le terrorisme, mais également du règlement de la question syrienne et du retour des réfugiés dans ce pays.
«La Russie a des intérêts économiques non négligeables avec le Liban»
Selon un communiqué officiel, la Russie a réaffirmé «la nécessité de surmonter la crise socio-économique le plus rapidement possible grâce à la mise en place d’un cabinet ministériel technocratique bénéficiant d’un soutien des forces politiques et religieuses principales du pays.» Elle réitère ainsi son appui à l’initiative française en vue de la formation d’un gouvernement, laquelle piétine face aux nombreuses divergences au sein de la classe politique libanaise.
«Le Liban est une plateforme intéressante à plusieurs titres pour la Russie. Par le passé, elle avait tenté de proposer du matériel militaire. Aujourd’hui, forte de sa diplomatie active, elle s’intéresse également aux opportunités économiques dans le pays», avance au micro de Sputnik François el Bacha, analyste politique libanais.
Et de poursuivre: «la Russie s’intéresse, comme beaucoup d’autres pays, aux capacités portuaires du Liban et notamment à Tripoli, dans le nord du pays, où c’est une société russe qui a gagné l’appel d’offres pour la gestion du stockage pétrolier, soufflant de peu ce contrat aux Chinois.» En raison de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, c’est le port de Tripoli qui est devenu la principale place portuaire du Liban. Mais la présence russe à Tripoli remonte en effet à 2019: l’entreprise Rosnef avait alors remporté un appel d’offres pour la restauration et l’élargissement des capacités de stockage en hydrocarbure du port, pour une durée de 20 ans. François el Bacha rappelle également que «la présence russe ne se limite pas uniquement à Tripoli.»
«Par ailleurs, la compagnie russe Novatek participe au consortium pétrolier dans le sud du pays avec le Français Total et l’Italien Eni.»
Au-delà de ces préoccupations économiques et politiques immédiates, les rencontres de Sergueï Lavrov avec des dirigeants libanais s’inscrivent dans un contexte régional. Comme le précise François el Bacha, «la priorité de la Russie reste la Syrie» et sa reconstruction.
Les sanctions américaines empêchent le retour des réfugiés syriens
Après la rencontre entre le chef de la diplomatie russe et Saad Hariri, la Russie a rappelé «la nécessité de consolider les efforts internationaux pour résoudre la crise syrienne sur la base de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, y compris ses dispositions concernant le retour des réfugiés syriens dans leurs foyers.» Même son de cloche avec la visite de la délégation du Hezbollah à Moscou, où les deux parties ont insisté sur «la stabilité au Liban et [la nécessité, ndlr] de renforcer les gains réalisés grâce à la lutte contre le terrorisme en Syrie et au Liban.»
De fait, le Pays du Cèdre semble être une pièce maîtresse dans le dossier syrien.
«La stratégie russe est de participer à l’économie libanaise dans le cadre de la reconstruction de la Syrie, mais également pour bloquer la possible installation d’autres puissances au Liban ou pour tout simplement les concurrencer», estime pour sa part l’analyste.
En plus de partager une culture et une histoire communes, le Liban et la Syrie sont également liés dans plusieurs domaines. De nombreux Syriens avaient placé leur argent au Liban avant la crise. Or, en raison des difficultés économiques, entre 20 et 42 milliards de dollars sont bloqués dans les banques libanaises. L’imbrication des deux pays les rend dépendants l’un de l’autre: la crise économique au Liban impacte hautement les finances syriennes et donc la reconstruction du pays. «La reconstruction de la Syrie passe nécessairement par la stabilité du Liban», confirme François el Bacha. En plus du retour des réfugiés syriens, demeure une inconnue et non des moindres:
«Les sanctions américaines impactent bien évidemment le retour des réfugiés syriens. Ils reçoivent de l’argent au Liban et en Syrie non», souligne François el Bacha avant d’ajouter «En Syrie, la situation économique ne vaut guère mieux qu’au Liban.»
Les sanctions américaines légalisées par la «Loi César» interdisent toute coopération avec Damas et participent ainsi à saper la reconstruction de la Syrie. Elles impactent également l’économie libanaise, qui reste tributaire de ses échanges avec le voisin syrien. De nombreuses compagnies libanaises ne peuvent plus commercer avec la Syrie. La stabilité régionale passerait donc dans un premier temps par la fin des pressions économiques occidentales.