Le message de la Chine appelant le 10 mars à «la désescalade» et au dialogue en Birmanie n’a pas été suivi d’effet. Le bilan des affrontements meurtriers entre les forces de sécurité et les manifestants s’est de nouveau alourdi. Lors d’un point presse à Genève ce 16 mars, l’ONU a dénoncé un «bain de sang», déplorant 149 victimes civiles et la disparition de «centaines de personnes» depuis le putsch militaire du 1er février.
La solution passe-t-elle par la Chine?
Ce 16 mars, Pékin a demandé à ses entreprises publiques présentes sur place d’évacuer leur personnel non essentiel. Une réaction faisant suite à des dégradations d'usines appartenant à des Chinois, selon des sources citées par le South China Morning Post.
«La Chine espère que la Birmanie prendra des mesures concrètes pour assurer la sécurité des Chinois», déclarait le 15 mars devant la presse, Zhao Lijian, porte-parole de la diplomatie chinoise, qui s’est dit «très préoccupé» par la situation. La veille, le Global Times, quotidien anglophone chinois, indiquait que trente-deux entreprises, notamment textiles, détenues par des Chinois dans la ville de Yangon avaient été détruites, pillées et incendiées.
Signe de l’atmosphère incandescente, Taïwan a même conseillé à ses ressortissants d’arborer leur drapeau dans le pays. Accusée par les manifestants de ne pas être assez ferme vis-à-vis de la junte, la Chine a pourtant appuyé le 11 mars la déclaration du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité, qui a «fermement» condamné les violences et appelé l’armée à «faire preuve de la plus grande retenue». Une évolution notable de son discours alors que la diplomatie chinoise avait simplement appelé le 1er février à un règlement des différends «dans le cadre de la Constitution». Pour Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l’Asie du Sud-Est à l'Institut français des relations internationales (IFRI), la diplomatie chinoise se montre pragmatique:
«Les Chinois cherchent à protéger leurs intérêts au Myanmar [la Birmanie]. Cela passe par une négociation avec les militaires afin de les amener au constat que le pays est dans une situation d’instabilité chronique. Il faut donc qu’il y ait aujourd’hui un effort, une main tendue qui vienne de la part des militaires, pour essayer de trouver un compromis. Voilà pourquoi les Chinois agiraient en faveur d’une solution négociée.»
«Depuis de nombreuses années, les Chinois sont les premiers partenaires de l’armée birmane, même si, et c’est un point tout aussi essentiel, l’armée birmane ne veut pas d’un alignement sur les positions chinoises. Il y a également une défiance à l’encontre des Chinois et de leur entrisme», relativise la spécialiste de la région.
Si certains observateurs n’hésitent pas à évoquer un début de guerre civile, Sophie Boisseau du Rocher réfute cette idée: «Pour la première fois, l'ensemble des citoyens birmans résiste aux effets de ce coup de force.» Elle y voit le «refus net d’un coup de force» de la part d’une «majorité pacifique et stoïque».
La contestation peut-elle gagner les autres pays de la région?
Le mouvement de désobéissance civile se serait répandu dans toutes les grandes villes. La déstabilisation du pays inquiète l’Asie du Sud-Est tout entière. La Thaïlande et le Cambodge ont appelé au calme. D’ordinaire si prudent, le Cambodge a déclaré être prêt à «assister le Myanmar».
Si la protestation aboutit et que l’on observe un «fléchissement» dans la position de la junte, les répercussions seront immédiates et ne devront pas être sous-estimées, estime Sophie Boisseau du Rocher. Cela redonnerait en particulier «des ailes au mouvement des jeunes en Thaïlande», qui avait secoué en 2020 le pays également dirigé par un général, le Premier ministre Prayut Chan-o-cha. Évoquant l’existence d’une «forte demande démocratique», la spécialiste pense que les autres gouvernements de la région adopteront «des mesures plus conciliatrices quand s’exerceront des pressions de ce type». De quoi recomposer les cartes en Asie du Sud-Est, où se joue actuellement la compétition sino-américaine.