«Islamophobie» à l’IEP Grenoble: «Une fatwa qui cherche moins la stigmatisation de l’adversaire que son anéantissement»

À l’IEP de Grenoble, des étudiants ont accusé nommément deux professeurs d’«islamophobie» par voie d’affiche. Depuis, la polémique ne désenfle pas. L’essayiste Joseph Macé-Scaron redoute le pire et dénonce le faux procès intenté aux deux enseignants par les syndicats étudiants. Explications.
Sputnik
«En France, le racisme tue, l’islamisme tue. L’islamophobie est une création visant à museler toute critique envers une religion qui est, elle-même, depuis les Omeyyades, traversée de courants antagonistes et agressifs. Cette affiche accolée à l’entrée d’un IEP est une niaiserie doublée d’une inculture crasse.»

L’essayiste Joseph Macé-Scaron ne mâche pas ses mots au micro de Sputnik à la suite de l’affaire des deux professeurs de l’IEP de Grenoble accusés d’«islamophobie» par des étudiants. Ce lundi 8 mars, Gérald Darmanin a annoncé la mise sous protection des enseignants en question.

«On a essayé de me punir», dit l'un des deux professeurs accusés d'islamophobie à Science Po Grenoble
«Des fascistes dans nos amphis. L'islamophobie tue.» C’est l’inscription qui a été retrouvée placardée à l’entrée de l’IEP de Grenoble, le 4 mars dernier, assortie des noms des deux professeurs visés: Vincent T. et Klaus Kinzler. Ce dernier, professeur d’allemand au sein de l’IEP depuis vingt-cinq ans, avait refusé en novembre dernier d’accoler le terme d’«islamophobie» à ceux de racisme et d’antisémitisme dans un groupe de travail consacré à la préparation de la Semaine pour l’égalité et contre les discriminations organisée par Sciences Po Grenoble. «J'ai dit très clairement que je n'aimais pas qu'on organise sous un même intitulé une journée consacrée au racisme, à l'antisémitisme et à l'islamophobie. Cela m'a choqué. C'est un non-sens de mon point de vue, mais on peut avoir un autre avis. Le fait de remettre en question cet intitulé a provoqué une blessure chez les étudiants», a-t-il expliqué sur France 3 Alpes.

Dans une autre interview, accordée à France Bleu Isère, il regrettait qu’on ne puisse «plus discuter comme il y a encore un an ou deux.» «Aujourd'hui, la liberté d'expression n'existe plus à Sciences Po. Si vous dites un mot qui ne plaît pas, on vous intimide, voire on lance une cabale contre vous. Débattre de l'islam est devenu impossible. L'ambiance est délétère», dénonçait-il ainsi. De son côté, Vincent T. est entre autres accusé d’avoir porté secours à son collègue devant la polémique qui enflait.

«L’islamophobie est une opinion. On peut la trouver contestable, mais ce n’est certainement pas un délit. Critiquer une religion ou des idées n’est pas du même ordre que de s’en prendre à une personne! Devoir expliquer cette évidence montre à quel niveau de confusion intellectuelle nous sommes parvenus», fustige Joseph Macé-Scaron.

Klaus Kinzler et Vincent T. ont été qualifiés de «racistes», de «réactionnaires» et d’«islamophobes» par l’UNEF Grenoble. Une enquête est ouverte pour «injurepublique» et «dégradation», après que la direction de l’IEP a adressé un signalement au parquet.

«L’UNEF n’est plus qu’un bateau ivre»

Difficile en effet de ne pas songer à Samuel Paty, victime de l’islamiste tchétchène Abdoullakh Anzorov le 16 octobre dernier après avoir été la cible d’une campagne de plusieurs jours orchestrée par un parent d’élève et un islamiste fiché S. Est-ce à craindre que le procès en islamophobie ne devienne une fatwa déguisée pour les islamistes en tous genres?

«Ce n’est pas la “fatwa morale” qu’il faut craindre, aujourd’hui, mais la fatwa tout court: celle qui cherche moins la stigmatisation et la discrimination de l’adversaire que son anéantissement», réplique Joseph Macé-Scaron, auteur de l’essai «L’horreur religieuse» (éd. Plon).

Dans cette affaire, le rôle joué par les syndicats étudiants est pour le moins trouble. L’UNEF, par sa branche grenobloise, a partagé l’affiche visant nommément les deux professeurs sur les réseaux sociaux pendant quarante-huit heures, avant de retirer ses messages devant la polémique. Sur Facebook, le 22 février dernier, l’Union syndicale Sciences Po Grenoble (US), premier syndicat étudiant de l'IEP, issu d’une scission avec l’UNEF, avait appelé les étudiants à témoigner sur d'éventuels «propos problématiques» qu’aurait pu tenir Vincent T. lors de son cours intitulé «Islam et musulmans dans la France contemporaine». L’US expliquait notamment qu'elle souhaitait faire «retirer» cet enseignement «des maquettes pédagogiques pour l'année prochaine si, lors de ce cours, des propos islamophobes y étaient dispensés comme scientifiques».

«Cancel culture»: la nouvelle inquisition fait rage à l’université
Lundi 8 mars, la présidente de l’UNEF au niveau national, Mélanie Luce, a estimé sur BFM TV que «ce ne sont en aucun cas des méthodes appropriées d’afficher des noms» et que «cela ne correspond pas à nos méthodes», car un tel procédé «comporte un risque de vindicte sur les professeurs». La veille, la branche grenobloise du syndicat avait malgré tout maintenu ses accusations à l’encontre des deux professeurs. «À Sciences Po Grenoble, des propos que nous considérons islamophobes, racistes et réactionnaires ont été tenus par des enseignants. Et il est de notre devoir de les dénoncer. [...] Nous avons retiré cette photo [affichant les noms de deux professeurs, ndlr], mais nous ne retirons pas notre condamnation aux propos islamophobes et à la discrimination face aux études pour appartenance syndicale», a ainsi écrit l’UNEF Grenoble dans un communiqué.

«L’UNEF n’est plus un syndicat mais la chambre d’enregistrement des théories les plus folles et les plus nauséeuses», s’insurge Joseph Macé-Scaron.

«À l’heure où un grand nombre d’étudiants vivent dans une situation de détresse au point qu’il faudrait rééditer De la Misère en milieu étudiant [pamphlet politique rédigé par l’Internationale situationniste en 1966, ndlr], l’UNEF n’est plus qu’un bateau ivre. Laissons-la s’échouer sur les écueils de ses dogmes et de ses préjugés», poursuit l’essayiste, auteur d’un Éloge du libéralisme (éd. de L’Observatoire).

Vers une dissolution de l’UNEF?

La majorité présidentielle n’a pas manqué de tancer l’UNEF. Ce lundi 8 mars, Aurore Bergé, députée LREM des Yvelines, a ainsi dit attendre «une réaction d’une très grande fermeté à l’encontre de l’UNEF», fustigeant «l’attitude déplorable» du syndicat étudiant sur l’antenne de Sud Radio. Un peu plus tôt dans la journée, Marlène Schiappa avait dénoncé sur BFM la façon dont l’UNEF avait «mis en danger» la vie des deux professeurs en relayant leur identité. «On est là dans des actes odieux après ce qui s’est passé avec la décapitation du professeur Samuel Paty qui, de la même manière, avait été jeté en pâture sur les réseaux sociaux. On ne peut plus tolérer ce type de fait», a ajouté le ministre chargé de la Citoyenneté.

Dans l’opposition, certains élus sont allés jusqu’à réclamer la dissolution de l’UNEF, un syndicat étudiant qui fait régulièrement parler de lui et que Jean-Michel Blanquer avait qualifié d’«islamo-gauchiste» en octobre dernier au lendemain de l’attentat contre Samuel Paty. «Désigner des professeurs, c’est en faire des cibles. L’UNEF Grenoble y a participé, l’UNEF n'a pas condamné: la question de sa dissolution doit être posée», a tweeté l’eurodéputé RN Jordan Bardella. De son côté, Éric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, a jugé l’UNEF «dangereuse» et exigé qu’elle soit «réformée ou dissoute».

​Une solution radicale, à l’image de ce qui a été décidé récemment pour les associations islamistes comme le Collectif contre l’islamophobie en France ou BarakaCity ainsi que pour Génération identitaire, mais qui ne convient toutefois pas à Joseph Macé-Scaron. «Il faut cesser de dissoudre des associations sous prétexte qu’elles défendent des opinions aussi insupportables soient-elles», avance l’écrivain. «Pour autant, il n’est pas nécessaire de leur reconnaître une quelconque légitimité dans le débat démocratique», précise-t-il.

De son côté, Thomas Mandroux, président de l’Union syndicale Sciences Po Grenoble, a persisté dans son accusation portée contre les deux enseignants lors d’une conférence de presse donnée ce mardi 9 mars. «Nous continuons à demander des sanctions tant que ces deux professeurs ne se seront pas excusés. [...] Les deux professeurs en question ne sont pas intouchables, ils ont subi cette histoire même s’ils en sont en partie responsables. Personne n’est intouchable dans cette histoire et la vérité devra être faite dans un cadre serein et universitaire».

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