Séisme à prévoir: le «barrage républicain» contre le Rassemblement national s’effondrera-t-il?

Les électeurs en auraient-ils fini avec le fameux barrage républicain? Systématiquement brandie depuis l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, cette alliance de circonstance voit se multiplier les signes avant-coureurs de sa propre obsolescence. Retour sur ce dont présage l’évolution de l’opinion.
Sputnik

Du côté du Rassemblement national, on se frotte les mains. Depuis près de dix ans, Marine Le Pen et son entourage le répétaient à l’envi: le «barrage républicain» ne leurrerait «plus personne».

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 Désormais, les faits semblent de plus en plus leur donner raison. Récemment, Gilbert Collard exprimait sa certitude que, en cas d’injonction à faire barrage au Rassemblement national, les électeurs LR ne suivraient plus les consignes de leurs leaders.

Joint par Sputnik, le politologue Guillaume Bernard, auteur de La guerre de la droite aura bien lieu (éd. Desclée de Brouwer, 2016) constate en effet un rejet naturel de l’idée de barrage chez les électeurs des Républicains. Un phénomène allant de pari avec une adhésion croissante au discours mariniste.

«On observe une démocratisation indéniable du Rassemblement national. Déjà en 2017, nous étions loin des manifestations d’ampleur que la France a connues lors de l’entre-deux tours de 2002. De même, nous observons que l’électorat filloniste converge de plus en plus vers celui de Marine Le Pen. En 2017, à peine 25% ont voté pour elle au second tour, 25% se sont abstenus et environ la moitié d’entre eux a voté Macron. Aujourd’hui, la tendance s’inverse et ils seraient un tiers», note Guillaume Bernard.

Cependant, ces deux mouvances politiques ne sont pas encore prêtes à fusionner, observe le spécialiste des institutions, favorable à une union des droites. «Les représentants politiques à droite ne se rangeront évidemment pas derrière Marine Le Pen. Ils ne souhaitent pas renoncer à une partie de leurs soutiens. Surtout, ils préféreraient travailler à l’émergence d’une figure alternative», affirme l’universitaire, avec à l’esprit les noms d’Éric Zemmour ou encore du Général de Villiers, récemment pressentis. Une hostilité envers le RN qui serait donc «nécessaire» si cette droite voudrait continuer d’exister, poursuit-il.

À gauche, la fin des illusions

De l’autre côté de l’échiquier politique, la crainte de l’affaissement du barrage se manifeste très tôt. Cette semaine, c’est le quotidien Libération qui enterre l’idée d’un nouveau front face au RN en cas de match retour Macron-Le Pen. Samedi 27 février, le journal titrait en une sur ce qui serait un nouvel état d’esprit à gauche: le refus d’un nouveau barrage anti-Le Pen.

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Une centaine de sympathisants de gauche, toutes sensibilités confondues, ont ainsi témoigné de leur souhait de ne pas voter Macron, malgré les consignes des états-majors. Beaucoup d’entre eux évoquent un choix motivé par une déception, voir un dégoût de la politique autoritaire et ultra-libérale du chef de l’État. Dans leurs courriers adressés à la rédaction du journal, certains font même part de leur intention de voter Marine Le Pen, afin peut-être de créer «l’électrochoc nécessaire à une prise de conscience collective, à l’instar des États-Unis». D’autres déclarent se réserver le droit à l’abstention, ne désirant plus faire «l’erreur de voter pour quelqu’un ou quelque chose dans lequel ils ne croient pas».

L’article de Libération suscite donc de vifs commentaires. Il relance un débat qui refait surface à l’approche de chaque élection. La famille LREM a évidemment réagi avec indignation, rappelant à l’unisson l’importance du «devoir républicain».

Une rupture à gauche qui ne surprend guère Guillaume Bernard. En effet, la politique d’Emmanuel Macron se concentre actuellement sur les thématiques chères au RN «afin de siphonner son électorat». Mais il faudrait aussi ajouter à tous ces électeurs de gauche désabusés, ceux qui ne se situent pas clairement.

«L’électorat flottant –qui ne sait pas s’il va voter, ni pour qui– peut tout à fait pencher en faveur de Marine Le Pen, pense Guillaume Bernard. D’autant que les enjeux de mai 2022 (sociétaux, économiques, sanitaires) ne sont pas encore clairement établis.» Pour le politologue, l’hypothèse d’une victoire de la candidate nationaliste n’est pas fantaisiste.

Marine Le Pen a-t-elle une chance d’accéder à l’Élysée?

Conscient d’une dévalorisation du front républicain, l’élu EELV Julien Bayou confiait le 27 février dans les colonnes du Point sa crainte que Marine Le Pen ne soit élue. Selon le secrétaire national du parti écolo, l’actuel président risquerait même de perdre face à elle. «Aujourd'hui, il n'y a que deux forces qui peuvent gagner contre [la présidente du RN]: la droite et nous, les écologistes», clame-t-il. Pourtant, les sondages donnent Macron et Le Pen au coude à coude au premier tour.

Pour Guillaume Bernard, la prophétie du responsable écologiste est en partie plausible concernant le potentiel électoral de la droite.

«La France est majoritairement à droite, toutes étiquettes confondues, une droite de moins en moins libérale et de plus en plus conservatrice, affirme note interlocuteur. Un candidat de la droite traditionnelle ou bien une figure émergente serait donc en mesure de remplacer au second tour, non pas Marine Le Pen, mais Emmanuel Macron.»

Quant à l’hypothèse d’un candidat de la gauche, a fortiori écologiste, a «peut-être une chance de battre Marine Le Pen en cas de second tour». Mais les idées qui vont avec –«à savoir le multiculturalisme, l’abolition des frontières et l’ultra-libertarisme»– lui interdisent d’accéder au second tour tant la France souhaite un retour au souverainisme, considère Guillaume Bernard. Les chiffres lui donnent en partie raison, près de 40% des citoyens se positionnant à droite contre environ 32% au centre et 12% à gauche d’après un sondage Ifop paru en juillet.

En outre, trop à gauche pour les uns, trop à droite pour les autres, Emmanuel Macron pourrait bien être la nouvelle et unique cible d’un éventuel barrage en 2022.

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