Le Niger est-il en passe de s’engouffrer durablement dans une crise postélectorale? La contestation des résultats provisoires du scrutin présidentiel qui ont donné Mohamed Bazoum gagnant a été rudement réprimée par les forces de sécurité. Alkache Alhada, le ministre de l’Intérieur du Niger, s’exprimait ce jeudi devant la presse et a fait état du bilan provisoire des manifestations: deux morts, dont un par balle, et près de 468 arrestations.
La veille, renseigne le site d’informations ActuNiger, Sayabou Maman Issa, le procureur de la République, annonçait à la télévision nationale que d’autres personnes étaient également «activement recherchées et vont répondre de leurs actes devant les juridictions compétentes». Il n’a pas précisé s’il s’agissait d’individus faisant partie de l’entourage politique de Mahamane Ousmane.
Hold-up électoral
Mahamane Ousmane devra donc s'incliner devant le dauphin du parti au pouvoir avec 44,25% des voix contre 55,75%. Ces chiffres, donnés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) le 23 février au soir, ne sont pas définitifs et devraient être confirmés (ou pas) par la Cour constitutionnelle.
Mais le candidat ne semble pas vouloir attendre le verdict de la Haute cour. Dès l’annonce des résultats provisoires, il a affirmé, depuis son fief de Zinder dans le sud-est du pays, être le «véritable vainqueur du second tour de la présidentielle». Les données qu’il a présentées comme provenant des PV établis par ses équipes sur le terrain font état d’un score de 50,3% pour lui, contre 49,7% pour son adversaire.
«La compilation des résultats des PV en notre possession à travers nos délégués dans les différents bureaux de vote nous donne gagnants», résume-t-il.
Mahamane Ousmane a dénoncé de nombreux cas de fraude dans plusieurs dizaines de circonscriptions électorales. «Nous nous réservons le droit d’exercer des recours en annulation afin que justice soit faite. Nous assurons nos compatriotes que nous userons de tous les moyens légaux pour défendre notre victoire qui est une victoire du peuple souverain», a-t-il ajouté.
Des affrontements à Niamey
Cette déclaration de l’opposant nigérien n’a fait que rajouter à la contestation qui couvait dans les rues de Niamey quelques heures même avant la proclamation des premiers résultats par la Commission électorale.
La tension était en effet montée d’un cran dans le pays depuis un communiqué de Mahamane Ousmane précédant de peu l’annonce des chiffres provisoires. Il y émettait de sérieux doutes quant à la régularité du bilan en cours de publication et appelait ses militants et le peuple nigérien à se lever pour faire échec au «hold-up électoral» en cours. Des jeunes contestataires ont brûlé des pneus sur les grandes artères et affronté à coups de cailloux, dans plusieurs quartiers de la capitale, les forces de sécurité qui usaient des bombes lacrymogènes pour les disperser.
Depuis jeudi matin, un calme précaire règne toutefois sur la capitale, avec quelques poches d’affrontements dans certains quartiers périphériques, témoignait pour Sputnik Kanni Abdoulaye, président de la Coordination des organisations de défenseurs des droits de l’Homme du Niger.
De son côté, le professeur Issoufou Yahaya, enseignant d’histoire et de sciences politiques à l’université Abdou Moumouni de Niamey, fait part de sa stupéfaction à Sputnik:
«Ce à quoi j’assiste depuis mardi à Niamey, je ne l’ai jamais vu. Ici et là, des jeunes gens dressent des barricades, caillassent les véhicules et vont jusqu’à vandaliser les domiciles des particuliers. La réponse qu’apporte le régime pour l’instant, c’est l’usage de la force pour arrêter les fauteurs de trouble.»
Une crise prévisible?
Ce qu’il se passe au Niger constitue une crise postélectorale «assez prévisible», d’après Issoufou Yahaya. Il en fait remonter la source à l’année 2013, «quand le Président Issoufou Mahamadou a usé de la ruse pour écarter du jeu électoral son principal opposant Hama Amadou, celui-là même qui l’avait aidé à arriver au pouvoir».
Le rapport conflictuel entre le pouvoir de l’ancien chef d’État et l’opposition s’était notamment matérialisé à travers l’élection présidentielle de 2016, boycottée au second tour par l’opposition alors que Hama Amadou était emprisonné sous le prétexte d’une implication présumée dans un trafic de bébés nigérians.
Mais en décidant, après dix ans de pouvoir, de ne pas briguer de mandat supplémentaire (contrairement à ses pairs guinéens et ivoiriens qui ont remanié leurs Constitutions respectives), le Président Issoufou Mahamadou a été salué, à l’intérieur comme à l’extérieur, comme un véritable démocrate. Certains n’ont pas hésité à le qualifier de «pionnier de l'alternance au Niger» alors même qu’il n’a fait que respecter sa Constitution.
La suspicion de fraude qui aurait bénéficié à son dauphin risque-t-elle d’écorner l’image d’Issoufou «artisan d’une première transition de civil à civil» dans un pays coutumier de coups d’État?
Tout dépendra de l’issue de cette crise, juge le professeur Yahaya. En tout cas, poursuit-il, «ce qu’il se passe actuellement au Niger montre un pays profondément divisé» que le Président sortant laissera à son successeur au terme de dix ans de pouvoir. Il dit craindre le pire, surtout que personne dans les deux camps n’appelle au calme.
La main tendue de Mohamed Bazoum semble désormais quelque peu dépassée par la tournure violente des événements, mais aussi le mandat d’arrêt émis contre Mahamane Ousmane.
En effet, dans son intervention juste après la publication des résultats provisoires, le vainqueur désigné par la CENI disait vouloir compter sur son adversaire «pour créer un nouveau climat entre le pouvoir et l’opposition, mettre fin aux tensions inutiles et nous donner la main sur l’essentiel par ces temps de grands défis terroristes».