Méfiance envers les vaccins? Le reflet d'une «phobie» et d'une «ignorance» selon Laurent Alexandre

Efficacité, effets secondaires, nombre de Français voudraient choisir leur vaccin. Une option qui leur est refusée, ce que certains déplorent, alors que le pays est confronté à la lenteur de la stratégie gouvernementale et à la méfiance généralisée. Laurent Alexandre, médecin de formation et entrepreneur dans les biotechs, revient sur ce dilemme.
Sputnik

Pourquoi ne pourrait-on choisir son vaccin contre le Covid-19? La question fait florès depuis quelque temps sur Internet et certaines personnalités politiques revendiquent également ce droit, estimant que des préférences personnelles peuvent aller à l’un ou à l’autre, en fonction de sa composition et de son mode de fonctionnement immunitaire. Dernièrement, c’est Jean-Luc Mélenchon qui se déclarait favorable au vaccin, mais à la condition de pouvoir choisir lequel.

«Je me vaccinerai avec le vaccin que j’aurai choisi, et si je ne peux pas choisir je trouverais ça suspect», tonnait le président de La France insoumise le 18 février, ajoutant que l’on ne connaît pas encore, à ce stade, les conséquences réelles à plus ou moins long terme de l’utilisation du vaccin ARN messager proposé par Pfizer et Moderna. D’où vient donc une telle méfiance? Un doute semble-t-il caractéristique de la société française, puisque selon une étude parue en novembre, le pays serait le plus réticent à se faire vacciner.

Pour Laurent Alexandre, haut fonctionnaire et médecin de formation, fervent défenseur de la vaccination, l’attribution d’un vaccin est un faux problème et son refus catégorique serait un argument fallacieux masquant «une certaine ignorance».

«Il n’y a, à vrai dire pas d’étude comparative entre les différents vaccins. Ce qui existe, ce sont les comparaisons de chaque vaccin avec leurs placebos respectifs.»

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«Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon est devenu technophobe, alors qu’il ne connaît sans doute pas la composition exacte de ces vaccins», tacle le cofondateur du site Doctissimo au micro de Sputnik.

En novembre, lors du démarrage de la campagne vaccinale, la question du choix a d’emblée été mise sur la table. À l’époque, seuls les laboratoires Pfizer et Moderna avaient reçu l’aval de la Direction générale de la Santé (DGS) et, interrogé sur la possibilité de décider soi-même de l’administration de l’un ou de l’autre, Olivier Véran affirmait qu’«avec la même efficacité, les mêmes indications […] il n’y a pas lieu de poser la question du choix.»

Craintes sur les vaccins à ARN messager, une peur phobique?

Aujourd’hui, la situation est différente avec l’arrivée, dans l’Union européenne, du vaccin AstraZeneca. Deux méthodes se font désormais concurrence. La première, utilisée par Pfizer/BioNTech et Moderna, dite à «ARN messager», est un procédé novateur. Celui-ci consiste à injecter une molécule biologique fabricant elle-même dans l’organisme des protéines spécifiques du coronavirus, ensuite combattues par le système immunitaire.

La deuxième est plus traditionnelle, avec injection d’antigènes. Dite à «vecteurs viraux», elle injecte au patient un autre virus peu virulent, auquel est ajoutée une partie du virus du Covid-19. L’organisme produit alors une protéine caractéristique du virus, la «spike», lui permettant de la reconnaître en cas de contamination. Ce procédé est celui utilisé par le laboratoire britannique AstraZeneca, mais également par le russe Spoutnik V, susceptible d’intéresser l’UE. Si ce vaccin à vecteurs viraux est jugé moins efficace selon la Haute autorité  (70% contre environ 95% pour l’ARN messager), il semble susciter moins de crainte quant à ses effets secondaires à court et long terme.

Méfiance envers les vaccins? Le reflet d'une «phobie» et d'une «ignorance» selon Laurent Alexandre

Bien que la plupart des scientifiques qualifient de hautement improbable la modification de l’ADN par les vaccins Pfizer et Moderna, certains redoutent cette hypothèse. Pour le docteur Laurent Alexandre, cette «phobie» serait totalement irrationnelle, la composition du vaccin ARN étant même plus naturelle que la seconde.

«Il est assez amusant d’observer des réticences vis-à-vis du vaccin ARN lorsqu’on sait qu’AstraZeneca est un adénovirus de chimpanzé génétiquement modifié. Le vecteur viral est en réalité nettement plus transgressif que l’ARN.»

L’efficacité supposée de l’AstraZeneca justifierait donc davantage les réticences vis-à-vis de ce produit qu’une quelconque mutation génétique. Avec ses 70% d’efficacité prouvée, celui-ci serait naturellement réservé aux moins de 65 ans (personnel soignant et personnes atteintes de comorbidités pour l’instant), tandis que l’ARN Messager serait privilégié pour les personnes âgées avec son taux d’efficacité plus élevé selon les tests.

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Malgré tout, l’exécutif a une nouvelle fois balayé la possibilité de choisir son vaccin. Une possibilité qui devrait pouvoir relever de la liberté individuelle, même pour les vaccins quasiment similaires de Moderna et Pfizer, affirmait récemment Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé. «Ces deux vaccins ont la même indication et la même efficacité et l’on devrait donc théoriquement pouvoir choisir l’un ou l’autre», soulignait-elle récemment dans les colonnes de La Croix.

Une loterie qui ne doit pas décourager la vaccination?

Le soutien à Emmanuel Macron en 2017 estime pour sa part qu’entre les questions d’organisation de la campagne de vaccination et «compte tenu de la pénurie de vaccins, il est nécessaire d’utiliser tout ce qu’on a».«Toute l’Europe paye les mauvaises décisions d’Ursula Von der Leyen», ajoute Laurent Alexandre. Et selon l’auteur de Jouissez Jeunesse (Éd. JC Lattès, 2020) il est impératif que chacun se contente du vaccin qui lui est attribué, la crise ne laissant aucune alternative possible.

«Il vaut mieux être vacciné avec n’importe quel vaccin plutôt que pas du tout. C’est ce que veulent les gens d’ailleurs, ce ne souhaitant pas se faire vacciner étant devenus minoritaires», affirme l’entrepreneur, très actif dans les biotechs.

En Belgique, où les patients se voient administrer un vaccin de manière aléatoire, les autorités ont également rappelé qu’il n’y aurait pas de «shopping au vaccin» et qu’«à aucun moment, les gens ne pourront choisir quel vaccin leur sera injecté». Si de l’autre côté de la frontière, le choix n’est pas non plus au goût du jour, un journal flamand a en revanche révélé une astuce pour savoir à quelle marque les citoyens seront piqués.

Une faille informatique permettrait ainsi de connaître à l’avance le type de doses prévues. «Si vous confirmez, voire même si vous reportez ou refusez votre rendez-vous en ligne, le système affiche automatiquement le type de vaccin administré», a admis le porte-parole de l’Agence des Soins de santé du pays. Un luxe –très relatif– auquel n’auront sans doute pas droit les Français une fois la vaccination ouverte à tous.

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