«Nous avons dit clairement depuis le début que nous allions recalibrer notre relation avec l’Arabie saoudite.»
En répondant à la presse, Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche, a réitéré l’intention de la nouvelle Administration américaine de revoir ses relations avec Riyad. En termes de relations bilatérales, ce recalibrage se réduirait au changement d’interlocuteur côté saoudien. Biden préférerait s’entretenir avec le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud plutôt qu’avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, comme plusieurs analystes l’ont déduit des propos de la porte-parole de la Maison-Blanche. «L’homologue du Président est le roi Salmane, et je crois qu’à un moment donné il aura une conversation avec lui», a-t-elle déclaré.
«Biden renvoie l’Arabie saoudite à sa propre hiérarchie»
Durant sa campagne, Joe Biden affirmait qu’il allait «réévaluer nos relations avec le Royaume [d’Arabie saoudite, ndlr], mettre fin au soutien américain à la guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, et nous assurer que l’Amérique ne mette pas ses valeurs à la porte pour vendre des armes ou acheter du pétrole.»
«C’est une stratégie très astucieuse de Joe Biden, car il renvoie l’Arabie saoudite à sa propre hiérarchie. Il rappelle à MBS qu’il n’est que le fils et le prince héritier», explique au micro de Sputnik Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense et auteur de «Docteur Saoud et Mister Djihad: la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite» (Éd. Robert Laffont, 2016).
Bien qu’il a œuvré à consolider son pouvoir depuis 2017, le puissant prince héritier se retrouve démuni sans son allié extérieur le plus influent. Arrivé au pouvoir peu de temps après le Président américain Donald Trump, il avait noué avec ce dernier des relations particulièrement fructueuses, mais aussi et surtout avec son gendre, Jared Kushner.
En le reléguant au second plan, Joe Biden se distancie habilement de la personnalité sulfureuse de MBS et de la politique étrangère de son prédécesseur, tout en préservant sa relation directe avec l’Arabie saoudite. Une stratégie de mise au placard que Pierre Conesa juge ingénieuse, en particulier à la lumière du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, dans lequel le prince ben Salmane serait impliqué.
«Si la justice américaine veut absolument désigner l’Arabie saoudite dans l’assassinat de Khashoggi, au moins, l’avantage c’est que MBS est isolé», explique-t-il.
La solution de placardiser MBS serait donc pratique pour l’Administration démocrate et lui permettrait de poursuivre la coopération avec Riyad, tout en assurant avoir trouvé les coupables.
MBS menacé sur ses arrières
Mohammed ben Salmane, qui traîne de nombreuses casseroles, risque de devenir un «prince parmi d’autres» sans cette relation privilégiée avec Washington. Et le décret signé par son père, le roi Salmane –faisant de lui le prince héritier au profit de Mohammed ben Nayef– ne l’empêcherait pas. Affaibli à l’international, MBS risque de voir son pouvoir contesté par plusieurs de ses détracteurs au sein du Royaume.
«MBS s’est fait beaucoup d’ennemis en tapant au portefeuille certains membres de la famille royale et en les menaçant ou en les maltraitant. Il est d’une brutalité d’autant plus importante qu’il avait une double légitimité, héritée de son père et de sa relation privilégiée avec Donald Trump. Il avait un alignement des astres qui lui paraissait parfait et là, il redescend un peu sur Terre», poursuit l’ancien haut fonctionnaire.
En 2017, le prince fraîchement nommé héritier avait effectivement fait le ménage dans la famille royale et plus généralement dans l’élite politico-économique du pays. Ce qui est resté connu comme les purges de 2017, officiellement contre la corruption, a créé des rancœurs dans le royaume, qui pourraient revenir en boomerang sur MBS.
«À l’heure actuelle, Mohamed ben Salmane doit être en train de tourner en rond dans son bureau en essayant de trouver une solution», suppute notre interlocuteur.
MBS avait également fait arrêter trois princes en 2020, dont le frère et deux neveux du roi Salmane, qui étaient accusés de comploter pour le renverser.
«Tous ceux qui se sont fait marcher dessus depuis que MBS a pris le pouvoir vont effectivement trouver là une formidable opportunité de regagner du pouvoir en se disant, “on ne passe plus par lui, on passe par le roi”», ajoute-t-il.
Désormais, «la seule inconnue est le rapport du très âgé roi d’Arabie saoudite à son fils», qui peut être le gilet de sauvetage du prince ben Salmane.