Voilà une question que le gouvernement aborde du bout des pincettes et pourtant… Le passeport vaccinal, «c’est le chemin que prend l’exécutif» et l’idée «fait très peur» alertent Fabrice Di Vizio et Robert Sebbag, respectivement avocat spécialisé en droit de la santé et infectiologue. Joints par Sputnik, ils se montrent hostiles à une mesure qui paraît d’autant plus envisageable qu’elle rebute de moins en moins une opinion publique résignée. À en croire les sondages, du moins.
La mise en place du passeport vaccinal a été suggérée mi-décembre par une députée UDI, Valérie Six. L’élue du peuple s’inspirant du peuple élu. Israël venait en effet de présenter le projet via son ministère de la Santé. Or, deux mois plus tard, l’État hébreu est le pays qui compte le plus haut taux de vaccinés au monde contre le Covid-19. 80% de la population a déjà reçu une première dose. Et Tel-Aviv instaure dès dimanche 21 février 2021 le fameux «passeport vert». L’accès aux centres commerciaux et aux salles de spectacles sera réservé aux personnes nanties du fameux sésame. En Europe notamment, plusieurs pays envisagent désormais le même procédé. Un tel ausweis hâterait, selon eux, la sortie de crise.
Lors d’une interview accordée aux Échos, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a admis que l’instauration d’un tel passeport est «prématurée». Mais elle prévient les Européens: «Ce sera un débat politique à avoir.»
Au micro de Sputnik, le docteur Robert Sebbag ne cache pas son inquiétude.
«Il faut être très précautionneux. Si vous mettez le doigt dans ce genre de choses, il n’y a plus de limites. Ensuite? On demandera des certificats de vaccin pour la grippe, la tuberculose… Cela finit par devenir de l’hygiénisme et c’est dangereux. Par ailleurs, le risque zéro n’existe pas, il n’y pas d’éradication complète, sauf pour la variole», rappelle le médecin attaché à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Maître Fabrice Di Vizio compte parmi les principaux défenseurs des professionnels du secteur. Lui aussi est sceptique. Selon lui, le passeport sanitaire tend à se répandre par «pur mimétisme». «L’Europe y songe sérieusement, bien qu’aucun pays n’ait franchi le pas», nous explique-t-il.
Dans cette optique, la Grèce et Chypre, avides de recouvrer leur prospérité touristique, viennent de signer un accord avec Israël.
Ce dispositif permettra une libre circulation dans les pays signataires à condition de présenter un justificatif de vaccination.
L’idée «infuse» progressivement
Le procédé tend également à se diffuser dans l’espace aérien. Certaines compagnies comme l’australienne Quantas proposent cette règle depuis plusieurs mois. Une exigence encouragée par le commissaire européen Thierry Breton, invité de BFM TV lundi 15 février. «Pour [laisser quelqu’un] entrer dans un avion, on pourrait demander au voyageur de présenter un certificat qui montre qu'il est immunisé, ou lui faire faire un test rapide (antigénique ou salivaire)», suggère-t-il. Peut-être cette suggestion sera-t-elle la première étape d’une généralisation du passeport vaccinal à de nombreuses activités?
En tout cas, la population semble s’accoutumer à une perspective qui apparaît dès lors inéluctable. L’avocat Fabrice Di Vizio et l’infectiologue Robert Sebbag sont d’accord là-dessus: une ouverture des frontières aux seules personnes vaccinées diffère d’une multiplication des contrôles au sein même de la population.
«Les États ont le droit de soumettre l’entrée sur leur territoire à un vaccin, souligne l’avocat du professeur Raoult. Vous allez en Afrique ou en Asie, vous êtes déjà soumis à un certain nombre de vaccins, cela n’est pas choquant. Mais qu’il serve à aller au restaurant ou au théâtre et qu’un tri s’opère sur le territoire, c’est problématique. On n’est pas obligé de se faire vacciner, mais on est exclu si on ne le fait pas.»
À la vitesse où vont les choses, la mise en place du passeport vaccinal semblerait pourtant quasi acquise. Pour preuve de cette acceptation, lorsque Valérie Six émettait, il y a deux mois, l’idée d’un passeport vaccinal, la proposition était perçue comme fantaisiste, sinon comme révoltante. Les Français laissaient exploser leur colère sur les réseaux sociaux. Les commentateurs se montraient dubitatifs quant à la faisabilité du projet. Un mois plus tard, un retournement spectaculaire s’est opéré, à en croire du moins un sondage Ifop dévoilant une majorité de Français favorable à une telle mesure (62% des sondés).
Même son de cloche du côté des représentants politiques. Certains, comme Yannick Jadot (EELV) et François Bayrou (MODEM), ont rallié l’UDI dans sa démarche. D’autres considèrent que ce choix finira tôt ou tard par s’imposer. À l’image de ce ministre confiant en off à France Inter: «Quand tous nos voisins européens l’auront mis en place, on n’aura pas le choix pour voyager et éviter les quarantaines.» L’Italie, l’Espagne, la Suède, le Danemark ou encore l'Estonie soutiennent déjà une telle idée.
Une mesure «totalitaire» qui fait douter le gouvernement
L’adhésion nouvelle des Français au passeport vaccinal peut toutefois sembler paradoxale, un autre sondage pointant une majorité qui n’aurait plus confiance en l’action du gouvernement. Pire même, si l’on rappelle, comme le fait Fabrice Di Vizio, que la population française est censée être la plus «antivax» du monde. L’avocat ne mâche pas ses mots. Il voit là un «syndrome du terrorisme».
«Si vous voulez faire passer une mesure attentatoire aux libertés, faites-la passer le lendemain d’un attentat. Faites un sondage trois semaines avant un événement catastrophique et faites-le à nouveau le lendemain, vous verrez ce qui se passe. Par ailleurs, les Français sont extrêmement favorables aux mesures liberticides. Sauf quand ça les concerne», affirme le juriste.
Le gouvernement se montre pourtant très prudent. Cette semaine, plusieurs membres du gouvernement se sont positionnés contre une mesure jugée «totalitaire». Le secrétaire d’État chargé du Tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, parle même de «discrimination» quand on envisage de soumettre l’entrée ou la sortie du territoire à la vaccination contre le Covid-19. Plus évasif, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, a estimé que «la question ne se pose pas aujourd’hui».
Plusieurs éléments rendent, de fait, l’instauration d’un passeport vaccinal insensée. En premier lieu, la pénurie de doses qui frappe la France, soulèvent nos deux interlocuteurs. «Les gens qui n’ont pas pu se faire vacciner pour telle ou telle raison devront présenter un carnet de santé justifiant de leur incapacité à le faire?» ironise l’avocat.
De son côté, le clinicien se demande si le pays doit rouvrir maintenant «pour les personnes à risques qui ont eu accès au vaccin ou bien attendre les autres». Par ailleurs, qu’adviendra-t-il des personnes qui ont des anticorps? «Y aura-t-il aussi un passeport immunitaire?» Et comment considérer les personnes qui ont reçu «un vaccin non reconnu par l’Europe, les Chinois par exemple? Pourquoi ne pas donner le monopole de ce passeport à Pfizer dans ce cas?» interroge encore le spécialiste du droit de la santé. Autant d’incohérences théoriques qui laissent à penser que la proposition restera sur la table un certain temps encore.