Professeur de philosophie politique, Robert Dussey est devenu, ces dernières années, un pilier du pouvoir togolais. Il a été le conseiller diplomatique du Président Faure Gnassingbé, dès l’accession au pouvoir de l’homme fort de Lomé en 2005. Un poste qu'il a occupé pendant huit ans. Depuis 2013, il est le ministre des Affaires étrangères du Togo. À ce titre, il est le chantre d’une diplomatie économique, souvent décrite comme dynamique et innovante. Le 16 février 2021, il effectue une visite officielle historique à Moscou. La première du genre depuis une soixantaine d'années!
À la veille de son déplacement, il en évoque les enjeux dans un entretien exclusif accordé à Sputnik. Des enjeux essentiellement économiques, certes, mais les attentes du chef de la diplomatie togolaise vont au-delà des frontières de son propre pays. Elles concernent aussi l’apport de Moscou à la pacification du Sahel.
Sputnik: Monsieur le Ministre, le 16 février 2021, vous effectuez une visite officielle à Moscou. Comment décrivez-vous la trajectoire des relations entre les deux pays?
Sputnik: Quels sont, pour vous, les grands enjeux de ce voyage?
Pr Robert Dussey : «C’est essentiellement des enjeux économiques. Le Togo s’est doté d’un plan national de développement (PND) pour la période 2018-2022. Ce plan est renforcé par un plan d’action gouvernemental 2020-2025. Puisque nous voulons de plus en plus diversifier notre économie, nous pensons que, sur des volets comme l’agriculture, le développement industriel et autres, la Russie peut apporter énormément. Comme elle le fait déjà beaucoup dans plusieurs pays africains. Nous avons là une occasion de l’amener à le faire aussi au Togo.»
Sputnik: Peut-on s’attendre à la conclusion d’accords?
Pr Robert Dussey : «En effet, il y a deux signatures en vue. La première est prévue dans le cadre de l’exemption de visa de services diplomatiques entre la Russie et le Togo. Nous allons également parapher un mémorandum politique. Mais il faut dire que le Togo est déjà en discussion avec la Russie pour des programmes dans les domaines agricole, industriel et éducatif. Je dois préciser que, sur le plan de l’éducation, des étudiants togolais bénéficient, depuis des années déjà, de bourses de l’État russe pour étudier en Russie. Au moins une centaine de Togolais ont été formés grâce à ces dispositifs. La Russie a déjà démontré sa bonne volonté sur ce plan et nous voulons continuer à travailler dans ce sens en élargissant nos cadres de coopération en matière économique. Particulièrement sur l’agriculture et la transformation des produits agricoles, conformément à notre plan national de développement.»
Sputnik: Le Togo se prépare pour une campagne de vaccination contre le Covid-19 qui doit démarrer en juin prochain. Ce voyage permettra-t-il de négocier avec les Russes l'acquisition de doses de leur vaccin Spoutnik V?
Sputnik: Il y a un an exactement, en marge de la conférence de Munich sur la sécurité en Afrique, vous annonciez avec votre homologue russe, Sergueï Lavrov, un forum économique Togo-Russie. Ce projet fait-il partie des victimes collatérales du Covid-19?
Pr Robert Dussey : «Effectivement, nous avions annoncé un forum que nous étions en train de préparer. Mais notre élan a été coupé par la pandémie. Comme vous le savez, partout ailleurs, dans tous les pays, le protocole sanitaire mis en place interdit les grands événements. Cela a retardé les choses. Mais je puis vous assurer que, dès que la situation sanitaire le permettra, ce forum se tiendra. Parce qu’il y a une volonté politique avérée des deux côtés. Et les responsables des chambres de commerce des deux pays étaient déjà informés.»
Sputnik: Qu'espérez-vous de ce forum?
Pr Robert Dussey : «Ce forum est important pour nous parce que la Russie veut investir sur le continent. Moscou le fait d’ailleurs déjà dans certains pays. Parce que nous avons beaucoup de potentialités et d’opportunités dans notre pays en lien avec notre plan national de développement, il est de notre devoir d’inviter la Russie à investir aussi chez nous. Vous savez, au Togo, nous voulons totalement sortir du cadre trop formel de la diplomatie. Maintenant, nous faisons de la diplomatie économique. Donc si les hommes d’affaires russes vont investir dans certains pays d’Afrique et même dans la sous-région, pourquoi ne pas venir le faire ici chez nous aussi? Raison pour laquelle Sergueï Lavrov et moi-même avions souhaité que les hommes d’affaires de nos deux pays puissent se rencontrer dans ce forum économique pour apprécier les potentialités.»
Sputnik: Depuis le sommet Russie-Afrique de Sotchi en 2019, le Togo essaie de se positionner comme porte d’entrée des investissements russes en mettant en avant «sa position géographique». En quoi cet atout peut-il séduire vos partenaires?
Sputnik: Les Russes sont prêts à aider dans la zone sahélo-saharienne pour lutter contre le terrorisme. C’était l’une de vos déclarations à Sputnik en 2020, après en avoir discuté avec Sergueï Lavrov à Munich. Quelle est la vision du Togo pour une paix et une sécurité durables dans la sous-région?
Sputnik: Toutefois, votre séjour ne semble pas prévoir la conclusion d'accords dans le domaine de la défense et de la sécurité…
Prof : Robert Dussey : «Non, rien de cela n’est en vue. Le Togo bénéficie déjà de l’appui d’autres partenaires sur des questions sécuritaires et militaires. Mais nous restons ouverts aux propositions qui nous seront faites.»
Sputnik : En parlant d'insécurité dans le Sahel, le Togo paie déjà un prix pour son engagement en faveur de la paix. Une attaque terroriste contre son contingent au sein de la mission onusienne au Mali s'est soldée, le 10 février, par la mort d’un militaire et a fait plusieurs blessés.
Pr Robert Dussey: «Permettez que je souhaite un prompt rétablissement à nos soldats blessés et que je présente mes condoléances à la famille du soldat décédé. C’est tout le Togo, toutes les forces armées togolaises qui sont tristes. Mais, vous savez, comme l’a dit le Président de la République, nous avons perdu un homme, mais nous allons continuer à aider nos frères maliens pour que vienne la paix dans ce pays. De toutes les façons, le Togo dispose de plus d’un millier d’hommes déjà au Mali. Ils y sont à la demande des Nations unies et le Togo est toujours disposé à aider d’avantage si la demande est formulée.»