Daech* et rien que Daech*! «C’est pour ça» que près de 900 militaires américains stationnent dans le Nord-Est syrien, a réaffirmé avec vigueur le porte-parole du Pentagone, John Kirby. Celui-ci s’exprimait lors d’un point de presse sur la mission des forces américaines en Syrie. Jusque-là, ces derniers protégeaient pourtant les puits de pétrole de l’est et du nord-est du pays:
«Le personnel du ministère de la Défense et ses sous-traitants ne sont pas autorisés à apporter une assistance à une société privée, à ses employés ou à ses agents qui chercheraient à exploiter des ressources pétrolières en Syrie», a ajouté Kirby.
«La situation ne bougera pas»
L’armée arabe syrienne, fidèle au gouvernement de Damas, peut-elle donc reprendre possession de ces puits? Pas si sûr. Comme l’explique le géopolitologue et docteur en histoire contemporaine Pascal Le Pautremat, ces déclarations de Washington sont surtout une affaire de sémantique:
«Pour trancher avec le discours de Donald Trump, le Pentagone dit qu’il ne s’occupe pas de sécuriser le pétrole et que les forces américaines sont là pour combattre Daech*.»
«On joue sur les mots, car ce ne seront peut-être pas des troupes conventionnelles américaines qui feront le travail, mais la situation ne bougera pas», prévoit-il. «Il y a parfois des ruptures de langage entre Républicains et Démocrates, mais le fond du tableau reste le même: préserver les intérêts, préserver les acquis.»
Un constat sur la politique syrienne de Washington que partage au micro de Sputnik l’ambassadeur russe à Damas, Alexandre Efimov, avec plus de nuances:
«Il est trop tôt pour parler des plans de l'Administration américaine concernant la Syrie», nous déclare le diplomate avant d’ajouter: «Il ne faut guère s'attendre, en principe, à une révision de la ligne américaine sur le dossier syrien. La pression sur Damas devrait se poursuivre. Et la présence de troupes américaines sur le sol syrien est l'un des principaux instruments de Washington, comme les Américains eux-mêmes l'ont affirmé à plusieurs reprises.»
Pour Pascal Le Pautremat, ce pétrole restera dans les mains des fameuses Forces démocratiques syriennes (FDS), la coalition de groupes armés de différentes ethnies, largement dominée par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG). Et ce, même si les GI’s ne patrouillent plus devant.
Le Nord-Est syrien, une région stratégique
«Les puits pétroliers dans le Nord-Est syrien se trouvent dans des zones qui ne sont pas du tout sécurisées, même si on entend dire que les conflits se sont arrêtés en Syrie», rappelle le chercheur. Les quelque 900 militaires américains présents sur le sol syrien, essentiellement des forces spéciales, peuvent donc arguer de la menace des résidus de l’État islamique* pour justifier leur présence sur place.
Symbole de cette entente: les puits de pétrole en activité dans le Nord syrien sont exploités par une compagnie américaine, Delta Crescent Energy, qui a passé un accord avec les FDS en 2020.
Difficile de croire donc que, en cas d’avancée de l’armée de Damas, les FDS, ne défendront pas ces puits stratégiques avec le soutien américain. Car le cœur du problème est bien là. Le contrôle de cette manne pétrolière permet à Washington d’avancer ses pions dans le pays et de maintenir la Syrie la tête sous l’eau.
«L’un des aspects de cette politique est la poursuite de l’occupation étrangère de certaines régions syriennes. De sorte que les Syriens n’ont notamment pas accès à leurs propres gisements de pétrole et de gaz, ainsi qu'aux champs agricoles dans le Nord-Est», explique l’ambassadeur de Russie à Damas.
En effet, les hydrocarbures et l’agriculture sont deux des secteurs économiques vitaux de la Syrie. Du moins, ils l’étaient jusqu’à 2011. Tous deux se situent dans leur majeure partie dans la zone aujourd’hui occupée par les FDS et les forces spéciales américaines.
«“Étrangler” économiquement le pays»
Selon Alexandre Efimov, c’est tout sauf un hasard si les Américains et leurs alliés sont stationnés là-bas.
«Les plans visant à renverser les autorités légitimes de la Syrie par des moyens militaires ont été remplacés par des tentatives visant à “étrangler” économiquement le pays afin de l'empêcher de retrouver une vie paisible, en l'isolant du monde extérieur et en le privant des ressources nécessaires à sa reconstruction et à son fonctionnement normal», explique-t-il.
D’après lui, «la pression [américaine, ndlr] sur Damas devrait se poursuivre. De ce point de vue, le maintien de troupes sur le sol syrien est l'un des principaux instruments de Washington, comme les Américains eux-mêmes l'ont affirmé à plusieurs reprises.»
Faute d’avoir pu faire tomber le gouvernement de Damas par la force, Washington semble donc miser désormais sur une asphyxie économique.
*Organisation terroriste interdite en Russie