À minuit moins une minute heure locale, la Commission électorale nationale autonome (CENA) a mis fin, ce jeudi 4 février, au dépôt des candidatures pour le premier tour de la présidentielle du 11 avril. D’après le décompte, 20 dossiers ont été recueillis parmi lesquels celui du Président sortant, Patrice Talon. Sept prétendants sont issus des partis politiques –Patrice Talon et six autres de l’opposition, dont Reckyath Madougou, ancienne ministre de la Justice du Bénin, candidate du parti «Les démocrates» récemment créé par l’ex-Président Yayi Boni (2006-2016).
Tous ces dossiers seront étudiés par la CENA qui doit ensuite les valider, puis rendre publics entre le 10 et le 12 février ceux qui sont conformes à la loi électorale.
Un premier tri par le parrainage
Un premier tri se fera sans doute sur la question du parrainage, qui continue de susciter beaucoup de débats dans le pays depuis son introduction dans la Constitution et la loi électorale votée en 2019.
«Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République ou de vice-Président de la République [...] s’il n’est dûment parrainé par des élus dans les conditions et suivant les modalités fixées par la loi», selon l’article 44 de la Constitution promulguée en novembre 2019.
Et pour être éligible, précise quant à elle la loi électorale, chaque candidat doit obtenir le parrainage de 10% des 159 maires et députés du pays, soit 16 élus. Mais plusieurs dossiers, selon une source à la CENA qui s’est confiée à Sputnik, étaient incomplets au dépôt soit par défaut de parrainage ou du fait de l’absence de colistier (pour le poste de vice-Président).
Jeudi soir, quelques heures avant la clôture du dépôt des candidatures, Reckya Madougou par exemple a reconnu que son dossier manquait de parrains, dénonçant «une réquisition des parrainages des députés par les dirigeants de leurs partis», c’est-à-dire ceux de la majorité au pouvoir.
«Nous avons fait en sorte que notre dossier soit le plus parfait possible. Des députés de la majorité et même des maires nous ont approchés pour dire que la candidature du parti ‘Les démocrates’ les intéressait, mais qu’ils avaient peur pour leur vie. D’autres ont eu le courage de nous dire clairement que leurs parrainages étaient confisqués par les chefs des partis politiques. À vous d’en juger», a-t-elle conclu devant la presse.
Des accusations infondées, rétorque Alain Ourounla, le ministre de la Communication et des Postes, porte-parole du gouvernement béninois.
«L’opposition nage dans ses propres contradictions»
Joint par Sputnik, il soutient que l’opposition nage dans ses propres contradictions et doit s’en prendre à elle-même, plutôt que de chercher à jeter du discrédit sur le parti au pouvoir en parlant d’éventuelles confiscations de parrainage.
«La plupart de ces candidats sont ceux qui ont fustigé le parrainage et se sont donné pour mission de l’exploser. Je pense qu’ils sont en train de nager dans leurs propres contradictions. Ce qui est certain, c’est que la plupart des parrains potentiels étaient disponibles jusqu’à la dernière minute pour soutenir toute candidature sérieuse présentée par un groupe politique», a-t-il déclaré.
Il faut préciser que l’Assemblée nationale béninoise est à 100% acquise au parti au pouvoir et ses alliés du fait du boycott par l’opposition des législatives d’avril 2019. De ce fait, celle-ci ne se prévaut que d’une dizaine de mairies.
Selon l’article 43 de la Constitution béninoise en vigueur, «le Président de la République est élu en duo avec un vice-Président et le scrutin se déroule en deux tours». Or, selon Alain Orounla, quatre ou cinq seulement auraient respecté cette disposition constitutionnelle.
Ganiou Soglo, un des candidats, ne s’y pas conformé, à l’instar d’autres indépendants d’ailleurs. «Le dépôt de ses dossiers s’est fait conformément à la Constitution de 1990, parce que le ministre conteste la nouvelle Constitution», a expliqué son cabinet joint par Sputnik.
Une phase de contestation
La démarche de l’opposition béninoise relève d’une stratégie qui vise, selon Ekoué Gada, politologue et enseignant de sciences politiques dans les universités du Togo, à «créer un précédent en vue d’alimenter une crise poste électorale inévitable».
Interrogé par Sputnik, il n’exclut pas un scénario sombre pour la vie politique béninoise.
«À l’allure où vont les choses, il n’est pas exclu que dès le rejet des candidatures, l’opposition ouvre une autre phase de la contestation qui, connaissant les Béninois, peut déboucher sur des troubles politiques pour accuser Patrice Talon d’être un dictateur, ou de s’être fait réélire au forceps et sans concurrent réel», prédit le politologue.
De toutes les façons, poursuit-il, rien n’empêchera Patrice Talon, qui a renié sa promesse de campagne en 2016 de ne faire qu’un seul mandat, de gagner les élections dès le premier tour au soir du 11 avril pour exercer son second quinquennat.
«C’est un scénario ficelé depuis longtemps par le Président Talon et son équipe pour n’être confronté qu’à des candidats sans moyens et incapables de le vaincre aux élections», conclut Ekoué Gada.