Comment l’Iran «veut casser un potentiel front uni entre Washington et l’Europe» autour de l’accord sur le nucléaire

L’UE, médiatrice entre Washington et Téhéran dans les négociations concernant l’accord sur le nucléaire iranien? C’est la proposition de Javad Zarif, chef de la diplomatie iranienne, pour tenter de concilier les parties. Une stratégie qui pourrait se retourner contre Téhéran, estime au micro de Sputnik le géopolitologue Gérard Vespierre.
Sputnik

Qui cédera le premier?

Entre Washington et Téhéran, le bras de fer a commencé depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. Les premiers, qui ont affiché leur volonté de revenir dans l’accord sur le nucléaire iranien, disent qu’ils ne le feront que si l’Iran revient à ses obligations prévues dans l’accord, tandis que les seconds disent ne vouloir revenir à leurs obligations qu’en cas de levée des sanctions. De peur d’agir et de passer pour le dindon de la farce si l’autre partie ne suit pas, aucun des acteurs ne veut faire le premier pas et le dossier est pour le moment figé.

Un ex-conseiller d'Obama nommé émissaire spécial pour l'Iran

Face à cette situation, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a fait une proposition en direct sur CNN international pour tenter de combler les deux parties: que l’Union européenne joue les intermédiaires. «Il peut clairement y avoir un mécanisme pour soit synchroniser» le retour des deux pays dans les clous de l’accord, «soit coordonner ce qui peut être fait», a suggéré Mohammad Javad Zarif sur la chaîne américaine.

Éloigner les Européens des Américains

Selon lui, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, peut «mettre sa casquette de coordinateur de la commission conjointe» de suivi de l’accord de 2015 «et chorégraphier les mesures qui doivent être prises par les États-Unis et les mesures qui doivent être prises par l’Iran.»

Une proposition qui obéit à des objectifs stratégiques bien définis, estime Gérard Vespierre, directeur de recherche à la Fondation d’études pour le Moyen-Orient (FEMO) et président de Strategic Conseils, au micro de Sputnik:

«La logique derrière la proposition de Javad Zarif est d’éviter ce rapprochement de buts identiques entre les Européens et les Américains. Téhéran veut casser un potentiel front uni entre Washington et l’Europe dans les négociations.»

D’après lui, «il y a trois freins principaux à un retour dans l’accord sur le nucléaire pour les Américains: le fait que les Iraniens ne respectent pas les conditions de l’accord, le programme de missiles balistiques et enfin les ingérences iraniennes dans la région

«Nous allons redoubler d’efforts pour préserver l’accord»

Sur ces trois points, les Européens «sont totalement d’accord» avec Washington.

«Les points de vue entre les Européens et les Américains ne sont pas très différents au final. Ils ont les mêmes objectifs, mais des moyens d’agir qui diffèrent. Et plus la position de Téhéran se durcit, plus les Européens se rapprochent de Washington», analyse le directeur de recherche à la FEMO.

Selon lui, Téhéran tente donc ici d’opérer un rééquilibrage stratégique pour ne pas se retrouver cloisonné dans une position défavorable. L’Union européenne et les acteurs européens ont, depuis le retrait de Donald Trump de l’accord, toujours soutenu la position d’un retour des États-Unis dans l’accord et de l’Iran à ses obligations. Et ce, malgré les écarts des uns et des autres.

Nucléaire iranien: Téhéran en position de force vis-à-vis de l’administration Biden?

«Nous notons avec une vive inquiétude les mesures prises par l’Iran en vue de commencer l’enrichissement de l’uranium au niveau de 20%. Cette action constituera un écart important par rapport aux engagements nucléaires de l’Iran […] et nous allons redoubler d’efforts pour préserver l’accord», déclarait par exemple le 5 janvier Peter Stano, porte-parole de Josep Borell, chef de la diplomatie européenne.

Vaine stratégie diplomatique?

Emmanuel Macron a aussi tenté à plusieurs reprises, notamment lors de sommets internationaux, d’user de la diplomatie pour tenter de préserver l’accord, notamment lors du G7 en août 2019, à Biarritz. C’est donc avec cette conjoncture en tête que le chef de la diplomatie iranienne espère trouver dans l’Union européenne un intermédiaire neutre et objectif qui puisse assurer un retour des deux parties dans l’accord sans qu’il y ait de «gagnant» qui fasse abdiquer l’autre par la pression.

C’est pourtant là que Téhéran se fourvoie, estime Gérard Vespierre.

«Depuis près d’un an et demi, les Iraniens, en réponse à Donald Trump, sont sortis petit à petit des conditions de l’accord. Cette démarche a encore plus rapproché les positions européennes des positions américaines», explique-t-il.

On a d’ailleurs vu le discours d’Emmanuel Macron se durcir paradoxalement sur le sujet depuis la victoire de Joe Biden et la reprise de l’Iran de son processus d’enrichissement d’uranium à 20%. Le chef d’État français a déclaré que les négociations avec l’Iran concernant l’accord du nucléaire conclu en 2015 seraient très strictes et devraient inclure l’Arabie saoudite et ses voisins, a mentionné la chaîne de télévision Al Arabiya. Un pied de nez qui ne devrait pas contenter Téhéran, compte tenu des relations qu’entretiennent les dirigeants iraniens avec leurs voisins saoudiens.

Nucléaire iranien: Macron «caresse» Riyad «dans le sens du poil» en invitant le royaume à la table des négociations

D’après le président de Strategic Conseils donc, le pays des Mollahs fait fausse route quand il suggère que l’Union européenne pourrait être un médiateur neutre dans ce dossier.

«D’un côté, il y a le bâton américain et de l’autre, il y a la main tendue européenne, mais la réalité de la finalité des objectifs occidentaux est un changement de régime par un soulèvement populaire en Iran. Cela vaut pour l’Europe comme pour les États-Unis», résume Gérard Vespierre.

Pour lui d’ailleurs, la proposition iranienne de médiation européenne dans les négociations sur le retour dans l’accord sur le nucléaire n’a dû provoquer qu’un «sourire» à Washington. Elle n’a pas vocation à éloigner, en l’état actuel des choses, les chancelleries européennes et Bruxelles des États-Unis.

Discuter