«Les Américains dominent le marché de l’armement au Moyen-Orient, où ils détiennent 48% du marché local», précise d’emblée Manuel Pouchelet.
Pour l’expert en géopolitique, la décision de Joe Biden de geler des ventes d’armes à l’Arabie saoudite et celle de chasseurs F-35 aux Émirats arabes unis, n’est qu’un trompe-l’œil, tant l’économie dicte le politique. Un simple effet d’annonce pour donner l’impression que Joe Biden veut enterrer l’ère Trump, selon ce formateur et conférencier en géopolitique auprès de ministères et d’organismes internationaux, tels que l’Onu, l’Otan, ou l’UE.
Un report pour rassurer Israël?
Le Département d’État américain a indiqué que ces marchés, passés sous la précédente Administration devaient être «réexaminés», précisant toutefois qu’il s’agissait d’une procédure de routine en période de transition. Une chose est sûre, cette mesure surprend, compte tenu des liens tissés entre Donald Trump et les pétromonarchies du Golfe. Plusieurs États de la région (Bahreïn et les Émirats arabes unis) ont même signé des accords de normalisation avec Israël en vue de constituer un front commun contre l’Iran.
Avec l’arrivée de Joe Biden à la tête de la Maison-Blanche, Israël s’inquiétait du positionnement de la nouvelle Administration sur plusieurs dossiers au Moyen-Orient. Avec ce report, Joe Biden montrerait finalement à son allié qu’il souhaiterait favoriser Israël dans la région, estime Manuel Pouchelet.
Car malgré la récente normalisation entre les Émirats arabes unis et Israël, Tel-Aviv ne souhaiterait pas qu’un pays arabe obtienne les mêmes avions de combat que lui.
Selon le chef de plusieurs missions d’experts au Moyen-Orient, «l’État hébreu aurait besoin d’assurances sur cette vente de F-35», soupçonnant «un dévoilement de sa stratégie militaire d’utilisation des F-35.»
Nonobstant les progrès diplomatiques dans la région, le dossier de la vente des F-35 à Abou Dhabi avait fait couler beaucoup d’encre à Tel-Aviv. L’État hébreu s’inquiétait de voir cette arme se retourner contre son propre pays. Néanmoins, une loi du Congrès spécifie que les États-Unis doivent s’assurer de la supériorité israélienne avant de vendre des armes à un pays tiers.
Un petit pas vers l’Iran?
Rien de surprenant selon Manuel Pouchelet, tant Washington, depuis la création de l’État hébreu en 1947, a toujours fait en sorte d’avantager celui-ci pour qu’il puisse garder une capacité militaire supérieure à celle de ses voisins régionaux.
L’armée israélienne «se soucie de son indépendance capacitaire militaire» et «sait que l’aviation est la clé de voûte de son dispositif de défense permettant de porter les coups hors de ses frontières», souligne l’expert en géopolitique.
Bertrand Badie, auteur d’une trentaine d’ouvrages sur les relations internationales, estime au micro de RFI que ce report constitue «un discret message» en faveur de l’Iran en vue des futures négociations sur le nucléaire iranien. En effet, l’Iran s’alarmait de voir ses voisins émiriens se doter des puissants F-35. Cette supposition est à nuancer, selon Michel Pouchelet, tant les Américains font de la vente d’arme une priorité dans la région. Il serait difficilement concevable que Washington recule sur de tels contrats pour séduire Téhéran.
«Croire que la nouvelle Administration Biden changera est une erreur», estime Manuel Pouchelet.
Bien sûr, l’équipe Démocrate joue à un jeu d’équilibriste: rassurer l’opinion internationale, qui dénonce de plus en plus les crimes de guerre dans la région, satisfaire ses alliés historiques, vendre des armes et diversifier ses partenaires économiques.
Mais «business is business»: «Les Américains le savent, s’ils ne vendent pas ces armes, elles seront vendues par les Russes ou les Chinois.» Malgré la pression de l’opinion internationale sur les crimes de guerre au Yémen, les Américains n’oseront pas perdre leurs meilleurs acheteurs, constate Manuel Pouchelet.
«L’économie américaine a toujours été bénéficiaire des guerres et autres conflits armés depuis la Seconde Guerre mondiale.»