257 millions d’abonnés Instagram en 2021, ça vaut son pesant d’or. Afin de profiter de cette manne, les dirigeants saoudiens auraient offert un contrat d’environ six millions d’euros annuels à l’homme le plus suivi de la planète sur cette application: Cristiano Ronaldo, à en croire le Telegraph.
L'office de tourisme d'Arabie saoudite aurait fait cette proposition au footballeur afin de promouvoir le pays à l’échelle mondiale. Le slogan de la campagne publicitaire est d'ailleurs déjà trouvé: «Visit Saudi.» Selon les termes de la proposition, le footballeur aurait été amené à se rendre aussi sur place dans un cadre promotionnel. La proposition aurait été refusée par le buteur portugais. Toujours selon le Telegraph, la superstar Lionel Messi aurait également été approchée et aurait aussi répondu par la négative.
Khashoggi, le Yémen et les droits de l’homme
Des refus qui ne surprennent pas Olivier Da Lage, rédacteur en chef à Radio France internationale (RFI) et spécialiste de la péninsule arabique.
«Dernièrement, la dégradation considérable de l’image de l’Arabie saoudite a fait que plusieurs personnalités ont été réticentes à venir dans le royaume. Il y a, par exemple, eu des pressions sur les participants au Dakar 2020 [organisé en Arabie, ndlr], par certains qui se désolidarisent de ce qu’il se passe en Arabie saoudite», explique-t-il au micro de Sputnik France.
Et ce problème ne date pas d’hier, rappelle le journaliste, pour qui «il y a un aspect un peu permanent dans la mauvaise image de l’Arabie saoudite qui se doit de redorer son blason. C’est ce que les autorités s’efforcent de faire.»
D’après lui, le royaume est depuis longtemps prisonnier d’une image modelée par sa politique intérieure et régionale. Au sein de ses frontières, le pays est perçu par certains comme une société conservatrice rigoriste, dans laquelle les libertés individuelles sont étouffées. En attestent plusieurs dossiers dont les affaires Khashoggi et Al-Hathloul. Le premier était un opposant en exil. Il a fini tué et découpé dans l’ambassade saoudienne d’Istanbul. La seconde est une militante arrêtée, emprisonnée et, selon certaines sources, torturée pour avoir conduit une voiture à une époque où les femmes étaient encore interdites de volant dans la monarchie pétrolière. Les Saoudiennes n’ayant le droit de piloter un véhicule que depuis juin 2018!
Sur le plan extérieur, nombre d’entités étatiques et d’organisations non gouvernementales reprochent au royaume son intervention militaire au Yémen et son implication dans d’autres conflits régionaux. Par exemple, en Syrie, où Riyad a été accusé de soutenir des groupes djihadistes.
«Cette stratégie fonctionne avec ceux qui sont prêts à fermer les yeux»
Si les pays occidentaux reconnaissent globalement l’existence de ces problèmes avec l’Arabie saoudite, aucun d’entre eux ne semble prêt à totalement couper les ponts avec le royaume, marché important. Notamment pour les ventes d’armes.
Malgré cela, les dirigeants saoudiens sont soucieux d’améliorer leur image pour développer leur marché touristique et attirer les investissements. D’où la démarche de recrutement de personnalités de premier plan sans avoir besoin de tout changer en interne. Mais le procédé a ses limites estime Olivier Da Lage:
«Cette stratégie fonctionne avec ceux qui sont prêts à fermer les yeux. Mais il y a tout de même suffisamment de dossiers gênants pour que ce ne soit pas le cas de tout le monde… On peut dépenser des sommes considérables dans des opérations de relations publiques, inviter des gens tous frais payés dans des palaces… Mais, à un moment donné, on arrive aux limites de cette diplomatie où on achète le silence.»
Notre interlocuteur qualifie cette diplomatie «d’assez classique» des États du golfe Persique : utiliser les moyens importants pour attirer des personnalités influentes, qu’il s’agisse de politiques, d’artistes, de sportifs ou même de journalistes.
Nouvelle donne avec l’arrivée de Biden au pouvoir?
L’accueil de grands événements sportifs vise également à redorer le blason saoudien. Après le Dakar 2020, le pays va abriter un grand prix de formule 1 à partir de cette année. Dans le football, l’Arabie saoudite a accueilli ces dernières saisons la Supercoupe d'Espagne de 2020 et la Supercoupe d'Italie en 2018 et en 2019.
«Cette politique n’est possible que quand les cas ne sont pas trop difficiles à défendre. Depuis quelques années, la politique menée par les dirigeants saoudiens a entraîné tellement de contre-coups défavorables que même cette diplomatie par l’image ne fonctionne plus», analyse l’un des auteurs de Nationalismes religieux: Moyen-Orient (éd. L'Harmattan, 2020).
De surcroît, maintenant que Donald Trump a quitté la Maison-Blanche, l’avenir des relations avec la nouvelle Administration américaine n’est pas évident:
«Le fait que Joe Biden et les démocrates soient arrivés au pouvoir change radicalement la donne. On sait la relation très étroite qui existait entre Mohammed ben Salmane [le prince héritier] et le gendre de Donald Trump, Jared Kushner. Cela a servi le royaume un temps. Les Américains fermaient les yeux sur des dossiers comme l’affaire Khashoggi tant que Riyad était un bon client de leur industrie d’armement. Sauf que ceux qui sont aujourd’hui à Washington ne voient pas les choses de cet œil.»
Et la situation risque de s’aggraver pour le royaume. Désormais, il est question de déclassifier le rapport de le CIA sur l’assassinat de Khashoggi. Une pièce qui aurait été étouffée par Trump. Le document mettrait directement en cause Mohammed ben Salmane selon les informations qui auraient filtré dans la presse.
«Et cette déclassification pourrait s’avérer extrêmement embarrassante pour le prince héritier et ses proches. Face à cela, il n’y a pas d’autre choix pour lui et son entourage que de prendre les devants et tenter de calmer les choses autant que faire se peut», conclut Olivier Da Lage.