«66 millions de procureurs»: «Macron est incapable d’accepter le débat contradictoire»

Emmanuel Macron a déclenché une nouvelle polémique en comparant les Français à «une nation de 66 millions de procureurs». Une formule répliquant aux critiques dont l’exécutif a fait l’objet dans la gestion de la crise. Pour l’essayiste Guillaume Bigot, cette sortie traduit surtout le mépris et la défiance du Président envers son peuple.
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«Nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs. Ce n’est pas comme cela qu’on fait face aux crises et que l’on avance. [...] Chacun fait des erreurs chaque jour. Celui ou celle qui ne fait pas d’erreur, c’est celui qui ne cherche pas ou qui ne fait rien, ou qui mécaniquement fait la même chose que la veille.»

C’est peu dire que les mots prononcés par le Président de la République, ce jeudi 21 janvier en marge d’un déplacement à l’université de Saclay (Essonne), ne sont pas passés inaperçus.

S’exprimant devant des étudiants et des chercheurs afin de promouvoir la stratégie française sur l’informatique quantique, le chef de l’État a déploré la «défiance française» et pointé du doigt une «espèce de traque incessante de l'erreur» de la part des Français dans ce contexte de crise sanitaire. Et ce, après avoir déjà qualifié ses compatriotes de «Gaulois réfractaires au changement» ou encore de «fainéants»...

Une «absence totale d’affection» pour les Français

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L’éditorialiste Guillaume Bigot, auteur de Populophobie: pourquoi il faut remplacer la classe dirigeante française (éd. Plon), trouve la nouvelle pique de Macron sur les Français «inquiétante». Il estime qu’elle «dénote une sorte de conception illégitime pour le Président de la République –censé être le garant des institutions– du jeu démocratique, lequel consiste à accepter qu’il y ait un débat contradictoire et un débat public».

«Le message, c’est: “Nous, les premiers de cordée, on agit, donc il nous arrive de nous tromper. Mais vous, la masse, vous n’avez que les passions tristes”», décrypte ainsi l'essayiste.

Pour l’essayiste, cette sortie présidentielle est autant la marque d’une forme de «mépris» pour les Français qu’une «absence totale d’affection» et de «considération pour son propre peuple».

Or, toujours d’après lui, c’est «l’amour des Français» qui permet à un chef d’État «d’asseoir son autorité». C’est pour cette raison que «la stature de monarque présidentiel ne prend pas», veut croire le politologue.

«L’aveu de l’erreur n’est même pas formulé par Emmanuel Macron. Alors que c’est ce qu’on attend de lui depuis le début de cette crise! Les Français n’ont jamais dit que leurs dirigeants n’avaient pas le droit de se tromper: ils en ont simplement marre d’être pris pour des idiots», fustige Guillaume Bigot.

Ce mercredi 21 janvier, Olivier Véran réussissait ainsi à se contredire dans la même journée. Le matin devant les sénateurs, le ministre de la Santé concédait que le pays ne pourrait pas «avoir vacciné tous les publics fragiles d’ici à l’été», soit 15 à 25 millions de personnes. Invité du 20 heures de TF1 le soir-même, le ministre faisait cette fois-ci part d’un objectif plus ambitieux: avoir vacciné 70 millions de personnes d’ici à la fin août, soit un peu plus de la totalité de la population française (67 millions et non 66 millions, au passage).

«Je ne sais pas s’il faut croire M. Véran du matin ou M. Véran du soir», a d’ailleurs ironisé sur Public SénatAnnie Genevard, vice-présidente (LR) de l’Assemblée nationale.

«Emmanuel Macron devrait plutôt remercier les Français»

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«Les gouvernants sont sans cesse pris la main dans le pot à confiture à mentir et à dire n’importe quoi aux Français», s’agace Guillaume Bigot.

Pour le politologue, Emmanuel Macron devrait plutôt se montrer reconnaissant envers son peuple, qui a selon lui révélé les insuffisances du gouvernement dans la gestion de l’épidémie.

«Les erreurs qui ont été pointées par l’opinion publique ont permis à l’exécutif de corriger le tir sur les masques, sur les tests antigéniques, sur le rythme de vaccination. Emmanuel Macron devrait plutôt remercier les Français d’avoir critiqué l’action du gouvernement! Or, non seulement Macron ne remercie pas, mais il dit: “Taisez-vous!” C’est sidérant.»

Pourtant, ne peut-on pas donner raison à Emmanuel Macron sur le fond? Le peuple français n’est-il pas ce peuple «râleur» et «éternellement insatisfait» qu’on veut parfois décrire? Un peuple rétif à toute forme d’autorité? «Les Français ont quand même été très civiques et tempérés dans l’ensemble. Bien plus que dans d’autres pays. Emmanuel Macron peut plutôt s’estimer heureux: les “procureurs” dont il parle restent très respectueux de la fonction présidentielle», relativise Guillaume Bigot.

«La démocratie engendre nécessairement une forme de chaos où les opinions se fracassent et se rencontrent: ça s’appelle l’agora et le débat public. La légitimité politique doit s’obtenir par le plus grand nombre. Il est donc normal qu’un Président rende des comptes au peuple qui l’a élu», avance le directeur de l'IPAG Business School.

Quoi qu’il en soit, la petite phrase n’a pas manqué de faire réagir la classe politique, gauche et droite confondues. Le député (LR) des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, a ainsi estimé que le Président de la République avait «un problème avec le peuple».

​La phrase n’est passée inaperçue pour Marine Le Pen non plus.

​Le député de La France insoumise Adrien Quatennens est allé plus loin en appelant à ne pas voter pour le «monarque».

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