Situation explosive en Tunisie. Depuis la nuit du 14 janvier, des émeutes nocturnes ont éclaté dans plusieurs villes du pays pourtant soumis à un couvre-feu à partir de 16h pour cause de crise sanitaire. Les scènes sont généralement les mêmes: des jeunes –souvent mineurs– prennent possession des espaces publics à la tombée de la nuit et n’hésitent pas à affronter les forces antiémeutes.
De nombreux actes de vandalisme et de pillage ont été enregistrés.
L’armée en renfort
Le ministère de l’Intérieur, par la voix de son porte-parole Khaled Hayouni, a fait état de 632 arrestations parmi des groupes de jeunes âgés entre 15 et 25 ans. La situation est telle que l’armée a été appelée en renfort dans plusieurs localités pour assister les unités de la police et de la garde nationale, corps de sécurité équivalent à la gendarmerie. Pour beaucoup de Tunisiens, ces émeutes ont été organisées pour marquer les dix ans de la chute de l’ancien Président Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011.
Pour sa part, le Président Kaïs Saïed s’est rendu lundi 18 janvier à Mnilha, quartier populaire de la grande agglomération de Tunis où il a résidé avant son élection, pour rencontrer des jeunes. Sur place, il a demandé à la population de «ne pas se laisser manipuler» par ceux qui encouragent les troubles.
«Je suis conscient de votre situation et je connais les parties qui souhaitent en profiter. Ne leur permettez pas de marchander votre misère. Les jeunes Tunisiens n’ont jamais été des voleurs, mais certaines parties veulent les pousser à le devenir. Ne les laissez pas profiter de vous», a-t-il lancé à la foule venue à sa rencontre.
Adnan Limam, politologue et ancien diplomate tunisien, estime que cette situation était prévisible. «Les observateurs les plus avertis sont même plutôt surpris par le retard pris par cette insurrection», explique-t-il à Sputnik. Pour lui, le «blocage politique» est la première cause de cette explosion sociale.
Diarchie
Selon lui, la situation du côté du pouvoir exécutif est tout aussi complexe. «C’est un pouvoir bicéphale avec le Président de la République d’une part et le chef du gouvernement de l’autre. En fait, c’est une diarchie, ce qui signifie que les têtes ont toutes deux des pouvoirs conséquents. Donc au lieu de travailler, elles passent leur temps à s’entre-déchirer.»
Nommé le 25 juillet 2020, le chef du gouvernement Hichem Mechichi était pourtant présenté comme un allié du Président Kaïs Saïed. «Il s’est finalement retourné contre lui et a fini par tisser une alliance avec les islamistes d’Ennahda», commente Adnan Limam. Finalité:
«La situation politique est totalement bloquée alors qu’il y a des attentes de la population dues à la catastrophe économique qui s’est accentuée avec la crise sanitaire du coronavirus.»
Le politologue avoue ne pas savoir qui est derrière ces émeutes. «Les instigateurs n’ont pas été identifiés. À mon avis, il faut agir par élimination. Ce que nous constatons sur les réseaux sociaux, c’est que les islamistes d’Ennahda et de leurs alliés d’El Karama sont contre ces émeutes. Elles les présentent comme étant le fait de bandes de pilleurs, soit la rhétorique habituelle de ceux qui sont installés confortablement au sein de la sphère politique gouvernante», note-t-il.
«Il y a peu de chances que le Parlement accepte d’adopter une révision constitutionnelle. Donc la première option est à écarter. Par contre, le Président a tout intérêt à actionner l’article 80 de la Constitution de janvier 2014. Cette disposition lui permet de légiférer par ordonnances en cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale et entravant le bon fonctionnement des institutions.»
L’article 80 précise que l’action du Président durant cet état d’exception «est dûment contrôlée par la Cour constitutionnelle qui décide également du maintien de cette situation. Sauf que cette cour n’a toujours pas été installée. C’est ce qui rend cette option plus avantageuse pour lui», poursuit Adnan Limam.
Kaïs Saïed ira-t-il jusqu’à activer cette disposition constitutionnelle qui lui conférera un large pouvoir? Les prochains jours nous le diront.