Alors qu’il avançait le risque de pénurie pour justifier sa politique de phases dans la distribution des vaccins, le gouvernement reconnaît désormais des erreurs au démarrage.
«Netanyahou a été visionnaire»
Sputnik: En France, la stratégie vaccinale a été largement critiquée pour sa lenteur. Était-ce la bonne démarche? Le gouvernement a-t-il bien fait de réserver le vaccin aux Ehpad dans un premier temps?
Laurent Alexandre: Privilégier les gens les plus fragiles est une bonne chose en soi. Mais le gouvernement a été confronté à deux problèmes. D’une part, il a voulu flatter les antivaccins. Donc il a démarré très lentement. D’autre part, il dispose de très peu de doses vaccinales. La France sera, cette semaine, à 1,5 million d’unités. Il est donc impossible de reproduire l’exemple d’Israël. C’est-à-dire vacciner la totalité de la population de plus de 16 ans. Là-dessus, Netanyahou a été visionnaire. Dans le pays, 22% de la population et les trois quarts des seniors sont déjà vaccinés. Israël sera bientôt le premier pays à avoir éradiqué le virus. Ce sera très intéressant à observer d’un point de vue géopolitique.
Sputnik: Reconnaissant des ratés, le gouvernement accélère le processus. Il élargit la vaccination aux professionnels de santé de plus de 50 ans. Est-ce suffisant? La France compte 93.000 vaccinés contre 1,5 million au Royaume-Uni ou 500.000 en Allemagne. Comment l’expliquer ?
Laurent Alexandre: Tout s’explique par la peur qu’a le gouvernement envers les «antivax». Ils sont très proches idéologiquement des Gilets jaunes. Or ce mouvement a traumatisé Macron. Le Président les a ménagés en allant le plus lentement possible. De surcroît, la France a très mal négocié son coup. On se retrouve avec un stock faible.
Sputnik : Le vaccin Moderna arrive en France avec 50.000 doses livrées ce lundi. Quel impact aura-t-il sur la campagne de vaccination?
Laurent Alexandre: La campagne vaccinale ne changera pas. Moderna représente moins de 3% des doses qui seront inoculées en janvier. L’essentiel des doses est dans les frigos et pas dans les muscles des Français. En réalité, pour les raisons que j’ai évoquées, le gouvernement a prévu de vacciner sur un an et pas dans des délais rapides. L’Union européenne dans son ensemble n’est pas en reste. Bien que la France soit la lanterne rouge, le reste de l’Union accuse un premier bilan très faible.
«Le plus étonnant, c’est que ce ne soit pas encore un scandale politique»
Sputnik: La pénurie est donc inéluctable? Un nouveau confinement est-il la seule perspective de sortie de crise, dès lors que les vaccins n’ont pas été distribués assez rapidement?
Laurent Alexandre: C’est déjà le cas ! Il y a une pénurie absolue dans l’Union européenne! Même s’il y avait une volonté de vacciner vite, on ne le pourrait plus, compte tenu des erreurs majeures que l’Europe a commises lorsqu’elle a laissé tout le monde lui passer devant l’été dernier au lieu de négocier les contrats. Une option de 500 millions de vaccins nous est passée sous le nez.
L’UE n’a cru ni à la deuxième vague ni au vaccin ARN. Enfin, comme elle ne les a pas surpayés, contrairement à Israël, elle n’a pas eu la priorité dessus. On voit le résultat aujourd’hui… Nous sommes en janvier. Nous savons, de l’expérience de l’an dernier, que le virus se calme entre fin avril et mi-mai. Donc, même si le variant britannique épargnait la France –ce que je crois peu probable–, on serait obligé de maintenir voire d’augmenter les mesures dans les semaines à venir. Ce sera sans doute très difficile politiquement. En outre, si le variant britannique circule massivement en Europe, cela risque de virer au psychodrame. Si Israël redémarre toutes ses activités le 20 pendant que nous sommes reconfinés, des questions vont se poser.
Sputnik: Hormis les retards, reste le problème de la méfiance des Français vis-à-vis du vaccin. Comment convaincre la majorité que le vaccin est nécessaire?
Laurent Alexandre: Dans tous les cas, entre les personnes qui ont été contaminées et qui ont une immunité naturelle –23% en Île-de-France– et celles qui ont accepté le vaccin, nous sommes à plus de 50% de la population, soit largement assez pour provoquer l’immunité collective. Donc même si certains «complotistes» restent rétifs à la piqûre, on immunisera tout le monde. D’ailleurs, les récents sondages montrent une augmentation des citoyens prêts à se faire vacciner.