La situation reste précaire à quelques jours du premier tour des élections présidentielle et législative qui doivent se tenir en République centrafricaine (RCA). En cause: une offensive menée par les groupes armés sur plusieurs axes routiers dans les localités situées à l’intérieur du pays. Selon des responsables centrafricains, les rebelles de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), l’un des groupes armés les plus puissants de Centrafrique, se sont emparés de Bambari, la quatrième ville du pays, ce mardi 22 décembre. «La ville est sous le contrôle des groupes armés. Il n’y a pas eu de violence contre les habitants, mais ils ont pillé le commissariat, la gendarmerie et les maisons des particuliers», a déclaré à l’AFP Abel Matchipata, maire de Bambari. Une partie du matériel électoral aurait été pillé. Mais selon la MINUSCA (Mission des Nations unies en Centrafrique), la ville n’est pas tombée aux mains des groupes rebelles, en dépit des informations faisant état du contraire.
Il faut dire que l’attaque de Bambari et de ses environs a donné lieu à deux heures d’échanges de tirs avec les FACA (Forces armées centrafricaines) et les Casques bleus de la MINUSCA, qui est en état d’alerte maximale. De son côté, le gouvernement centrafricain a accusé l’ancien chef de l’État, François Bozizé, dont la candidature a été invalidée par la Cour constitutionnelle, de vouloir fomenter un «coup d’État» en s’appuyant sur les groupes armés qui contrôlent les deux tiers du territoire national. Des accusations que l’intéressé a catégoriquement rejetées.
Les évènements des dernières heures risquent non seulement de nuire à la tenue du scrutin du 27 décembre prochain et de replonger la RCA dans la guerre civile, mais ils constituent aussi et surtout un test pour la Russie, partenaire privilégiée de la Centrafrique avec laquelle elle a conclu un accord de défense en 2018.
Une présence importante
Depuis cette date, la lune de miel entre Moscou et Bangui se poursuit à un rythme effréné. Les deux pays ont renforcé leur coopération dans plusieurs domaines, ce qui a permis à la Russie d’étendre considérablement son influence dans le pays. En octobre dernier, Moscou a ouvert un bureau du ministère russe de la Défense à Bangui, et a fait un don de dix véhicules blindés à la défense centrafricaine. À l’époque, l’ambassadeur de Russie en RCA, Vladimir Titorenko, avait affirmé que son pays était prêt à fournir davantage d’armes lourdes à la Centrafrique, y compris des hélicoptères de combat.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Russie est partout en Centrafrique. Y compris dans l’entourage immédiat du numéro un du pays, le Président Faustin-Archange Touadéra. Une unité spéciale de l’armée russe assure la sécurité de ce dernier. Moscou est sans conteste devenu incontournable dans le paysage local, surpassant l’ancienne puissance coloniale (la France) dont la présence et le rôle restent tout de même prépondérants...
Un partenariat à l’épreuve de la crise
Avec la poussée des groupes rebelles qui ne cachent pas leurs velléités de s’emparer de la capitale Bangui et de court-circuiter le processus électoral, c’est le partenariat entre la Russie et la RCA qui est mis à rude épreuve.
La Russie va-t-elle emboîter le pas à cette France qui n’hésitait pas intervenir dans les affaires intérieures de son ancienne colonie pour protéger ses dirigeants? Va-t-elle intervenir pour protéger le gouvernement du Président Faustin-Archange Touadéra des attaques des groupes armés? Si oui, va-t-elle utiliser la force ou se contentera-t-elle de ramener les parties à la table des discussions?
Autant de questions qui ne trouveront de réponse définitive que dans les jours à venir.
Pour l’heure, Moscou a adopté une position assez ambiguë, démentant même avoir envoyé des centaines de soldats ainsi que des équipements lourds en Centrafrique dans le cadre d’un accord de coopération bilatérale, comme l’avait pourtant affirmé, il y a deux jours, le porte-parole du gouvernement centrafricain, Ange Maxime Kazagui. Un haut diplomate russe, Mikhaïl Bogdanov, a précisé pour sa part que la Russie avait des éléments sur place en RCA en vertu des accords qui lient Moscou et Bangui.
Jusqu’au jeudi 24 décembre, la Fédération de Russie n’avait toujours pas confirmé l’envoi de soldats russes en Centrafrique. À moins que les 300 instructeurs militaires supplémentaires récemment envoyés auprès du gouvernement de Bangui ne comportent, dans leurs rangs, des troupes de combat? Au Kremlin comme au ministère de la Défense russe, on est avare de commentaires à ce propos. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est contenté d’exprimer ses inquiétudes sur les événements en cours en RCA, et une porte-parole de la Défense a confié à l’AFP que Moscou préférait, «pour l’heure [garder] le silence sur ce sujet».
Quoi qu’il en soit, c’est la crédibilité de l’ours russe qui est en jeu dans cette crise. En fonction de la posture qui sera la sienne dans les jours à venir, celle-ci sortira renforcée ou affaiblie... aux yeux de nombreux Africains qui suivent la situation en RCA de très près. À leurs yeux, la Russie est un partenaire plus fiable que l’ancienne puissance coloniale ou les États-Unis. L’enjeu est d’autant plus important que le capital de sympathie dont jouit Moscou sur le continent noir n’a fait qu’augmenter au cours des dernières années...