Nouvelle-Calédonie: face à «l’appétit chinois», «une présence de la France dans le Pacifique est impérative»

Alors que les tensions sont à leur comble en Nouvelle-Calédonie, l’État réaffirme son engagement financier dans le Caillou. Bastien Vandendyck, spécialiste de la géopolitique du Pacifique, explique à Sputnik les intérêts stratégiques d’une telle démarche, notamment face au développement de l’influence chinoise dans la région.
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En proie à des agressions, des dégradations et des incendies, l’usine de nickel Vale serait-elle en passe d’être nationalisée temporairement? C’est du moins ce qu’ont proposé le 17 décembre les deux députés UDI de Nouvelle-Calédonie, Philippe Dunoyer et Philippe Gomes pour sortir de l’impasse des violences. En parallèle, Marine Le Pen demandait le 11 décembre que l’État «reprenne la main», jugeant «inacceptables» les scènes de «guérilla» dans l'archipel français. Elle en a conclu que «le choix prolongé de l'impuissance conduit au chaos».

Lignes rouges –Jean-Baptiste Mendes reçoit Bastien Vandendyck, consultant chez Vae Solis Communications, analyste en relations internationales et spécialiste de la géopolitique du Pacifique.

L’annonce du rachat du site industriel le 9 décembre par Trafigura, négociant en matière premières, a provoqué une montée des tensions du côté des indépendantistes. Ceux-ci avaient présenté une offre locale: le consortium de la Sofinor avec Korea Zinc. «On a vu des policiers se faire foncer dessus, l’usine Vale a été attaquée, il y a eu des incendies, c’est une situation extrêmement préoccupante», considère Bastien Vandendyck, analyste en relations internationales et spécialiste de la géopolitique du Pacifique. Si la demande d’État est visiblement très forte, ce dernier ne semble pourtant pas démissionnaire.

De gros investissements payés par le contribuable métropolitain

Un chiffre illustre particulièrement cet engagement. Via des garanties, des prêts et la défiscalisation, l’État apporte 500 millions d’euros dans le rachat de l’usine de nickel, soit la moitié du tour de table. Interpellé le 8 décembre par Jean-Christophe Lagarde (UDI) au Palais-Bourbon, Jean Castex a condamné «fermement» les violences, en assurant le soutien de l’État dans ce dossier qui concerne 3.000 emplois. Un investissement qui concerne plus globalement tout l’archipel. «Sur l'ensemble de la filière nickel en Nouvelle-Calédonie, le coût fiscal est de 730.000 euros par emploi en Nouvelle-Calédonie. Si ce n'est pas de la solidarité nationale, je ne sais pas ce qu'est la solidarité nationale», a-t-il ajouté.

​Bastien Vandendyck le confirme: l’engagement financier de l’État est considérable: la fiscalité locale y est en effet «extrêmement favorable aux Calédoniens» et «pèse majoritairement sur les contribuables métropolitains». Chaque année, la France défiscalise en moyenne «138 millions d’euros» afin de dynamiser le territoire. Le ministre de tutelle, chargé des Outre-Mer, Sébastien Lecornu, a passé trois semaines en Nouvelle-Calédonie. Selon l’analyste, c’est un «ministre de terrain», qui n’a pas hésité à échanger avec tous les acteurs du conflit. Et lors de l’attaque de l’usine par des opposants au rachat, «l’État a réagi rapidement» avec l’intervention de la gendarmerie. Si notre interlocuteur constate effectivement un désintérêt médiatique envers les possessions d’outre-mer, ce caprice ne reflèterait toutefois en rien la réalité de l’action de la France dans l’archipel.

«Les Français et l’État n’ont pas tiré une croix sur la Nouvelle-Calédonie. Le nombre d’investissements sur place le montre. Cependant, les sujets ultramarins concernent assez peu les rédactions. […] C’est vrai que ce sujet arrive assez tardivement, cela fait désormais un mois qu’il y a des problèmes en Nouvelle-Calédonie, et on ne s’en inquiète que maintenant.»

L’une des raisons de tant d’engagements de la France, c’est la donnée stratégique majeure que constitue l’archipel du Pacifique aux yeux de la métropole. Possédant 20% des réserves mondiales de nickel, la Nouvelle-Calédonie est également importante de par sa surface maritime, qui s’étend sur 1,4 million de km2.

Un territoire «de plus en plus convoité» par la Chine

«La France est une grande puissance de l’Indo-Pacifique», déclarait le Président de la République à Nouméa le 5 mai 2018. Une puissance au sein de laquelle le Caillou détient une importance décisive. «Il y a un axe Paris-New Delhi-Canberra, mais cet axe-là se prolonge de Papeete à Nouméa et à travers tous nos territoires», ajoutait Emmanuel Macron. Aussi, ce «positionnement géographique» offre à la France une proximité des Néo-zélandais et des Australiens, proches de Washington et touchés par les tensions grandissante de leur allié avec Pékin. Un atout non négligeable selon Bastien Vandendyck:

«Il en va de la position de la France dans le futur axe indo-pacifique, c’est un axe qui est très important pour Emmanuel Macron. […] Demain, le centre des relations internationales, c’est le Pacifique. Donc une présence de la France est impérative si l’on veut rester une grande nation diplomatique.»

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Un atout qui ne va pas sans inconvénients: la Nouvelle-Calédonie est un territoire «de plus en plus convoité» par la Chine, particulièrement pour ses ressources halieutiques et son sous-sol riche en minerais. «On sait que les territoires mélanésiens attisent l’appétit chinois», constate l’analyste, au vu du déploiement de l’influence économique de Pékin au Vanuatu et en Papouasie Nouvelle-Guinée. Ce sont les nouvelles routes de la soie. Bastien Vandendyck estimait d’ailleurs dans un précédent entretien que la Chine devenait un «partenaire des indépendantistes».

Des indépendantistes qui restent sur une «dynamique positive», malgré la victoire des  partisans d’une Nouvelle-Calédonie française avec 53,3% au référendum du 4 octobre. Une seconde défaite, mais un progrès de trois points par rapport à 2018. S’ils parvenaient à l’emporter lors la troisième consultation prévue courant 2021-2022, l’ indépendance calédonienne représenterait ainsi une perte majeure pour la stratégie de puissance française:

«Elle n’a pas aujourd’hui les ressources financières voire les ressources techniques, parfois humaines pour conduire certaines missions régaliennes, et pouvoir maintenir son développement. Il est alors évident qu’une Nouvelle-Calédonie indépendante aura besoin de certains investissements et si ces investissements ne venaient pas de la France, on sait très bien d’où ils viendraient dans cette région du monde, de Pékin.»
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