À crise historique, récession historique. En 2020, le produit intérieur brut (PIB) français devrait s’effondrer de 11%. Et ceux qui comptaient sur un fort rebond en 2021 commencent à déchanter. Pourtant, la vivacité de la reprise après le premier confinement, au printemps, avait permis tous les espoirs. Mais la seconde vague de Covid-19 et le reconfinement qu’elle a entraîné ont assené un coup de massue sur une économie qui commençait à peine à relever la tête.
L’exécutif tablait sur une croissance de 8% en 2021, mais a dû se résoudre à abaisser sa prévision, à 6%. Du côté de la Banque de France, on est plus optimiste pour 2020, et plus prudent pour l’année suivante. L’institution prévoit une récession de 9% cette année avant un rebond de 5% l’an prochain.
Des secteurs entiers toujours à l’arrêt
Ces projections seraient sensiblement remises en cause en cas de troisième vague… et de troisième confinement. Un scénario catastrophe? Bruno Ducoudré, économiste du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ne cache pas que cela serait une très mauvaise nouvelle:
«Évidemment, ce serait terrible pour l’économie, car cela toucherait encore les mêmes secteurs. Malgré les aides apportées, plus ces derniers sont durablement impactés, plus l’on va voir les faillites s’enchaîner et les emplois être détruits.»
L’expert appelle cependant à ne pas céder au catastrophisme. Il assure que «le pays ne va pas s’effondrer». Il entrevoit plusieurs facteurs d’amortissement du choc: «Les dispositifs évoluent avec le temps. Les mesures sanitaires sont moins contraignantes avec le second confinement. Par ailleurs, les mesures prises par le gouvernement pour soutenir l’activité économique ont à nouveau été renforcées lors du reconfinement. Rien ne dit que cela ne serait pas à nouveau le cas dans l’hypothèse d’un troisième confinement.»
Des pans entiers de l’économie sont toujours sous perfusion. Alors que les lieux culturels devaient rouvrir ce 15 décembre, jour de déconfinement, la non-atteinte de l’objectif des 5.000 cas de Covid-19 par jour, fixé par le gouvernement, a repoussé l’échéance au 7 janvier. Les salles de cinéma, les théâtres ou encore les musées restent donc portes closes pour le moment.
Le Premier ministre Jean Castex a bien confirmé sur Europe 1 l’attribution d’une nouvelle enveloppe de 35 millions d'euros pour soutenir le secteur, mais cela n’a pas empêché ses acteurs de battre le pavé ce 15 décembre à Paris pour crier leur colère.
Du côté des restaurants et autres bars et cafés, la situation est également compliquée. «Je ne peux pas vous dire avec certitude que nous rouvrirons les bars et les restaurants le 20 janvier», a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, lundi 14 décembre sur France Info. Une mauvaise nouvelle pour les intéressés que s’est chargé de rappeler Jean Castex dès le lendemain sur Europe 1. Et d’autres secteurs comme le tourisme, le milieu de la nuit ou les activités de loisirs sont également en très grande souffrance.
Des dizaines de milliers d’entreprises et d’employés subsistent donc grâce aux garanties publiques sur les prêts bancaires, aux moratoires sur leur remboursement, aux reports de charges, aides sectorielles et, pour les salariés, au chômage partiel.
En tout, ce ne sont pas moins de 470 milliards d’aides publiques que l’État a mis sur la table afin d’aider les entreprises les plus touchées à surmonter la crise. Et le «quoi qu’il en coûte» d’Emmanuel Macron est encore d’actualité. Pas moins de 20 milliards d'euros de dépenses d'urgence ont été ajoutées in extremis dans le projet de budget pour 2021 afin d’aider les entreprises impactées et les plus précaires.
«Cette crise va nécessiter un accompagnement et des politiques publiques encore massives pour plusieurs années, afin d’éponger ses conséquences», prévient Bruno Ducoudré.
Malgré les sommes colossales investies par l’État, la survie de très nombreuses entreprises n’est pas garantie. Et certaines ont déjà mis la clef sous la porte.
Le vaccin sauvera-t-il l’économie?
Bruno Ducoudré rappelle pourtant que l’année 2020 a enregistré une baisse des défaillances d’entreprises. Pas si surprenant quand l’on connaît le ralentissement de l’activité des tribunaux du fait des mesures sanitaires. Sans parler des aides mises en place par l’État et du fait que les procédures de recouvrement n’ont pas été déclenchées de manière aussi automatique qu’à l’accoutumée, du fait de la crise. Mais la bombe à retardement pourrait exploser bientôt, comme l’explique l’économiste:
«On peut s’attendre en 2021 à un rattrapage. Beaucoup de dossiers vont être traités. Malgré les aides, la durée de la crise provoque des pertes d’activité qui font que les entreprises les plus fragiles mettront la clef sous la porte. Le rebond des défaillances pourrait être très important.»
La Banque de France ne donne pas de prévisions concernant les faillites. Elle note cependant que la situation financière des entreprises s'est nettement dégradée en 2020. Question chômage, elle anticipe un pic proche de 11% au premier trimestre 2021, avant une décrue à 9% fin 2022. D’après l’Insee, il devrait atteindre 9,7% en 2020 avant une «montée progressive» selon Bruno Ducoudré, l'OFCE tablant sur 10,6% à la fin 2021.
«Des travaux qui ont été menés par l’OFCE sur l’impact que pourrait avoir le premier confinement sur les destructions d’emplois montrent qu’elles pourraient se chiffrer à 180.000. C’est un exercice qui donne un ordre de grandeur. Au moment où ces travaux ont été réalisés, le niveau d’aide de l’État n’était pas le même, mais il n’y avait pas eu de second confinement», souligne Bruno Ducoudré.
D’autant que l’arrivée prochaine d’un vaccin efficace contre le Covid-19 pourrait paradoxalement avoir des répercussions négatives pour certaines entreprises comme l’explique le spécialiste de l’OFCE:
«Si la diffusion du vaccin se précise dans les mois qui viennent, cela pourrait mener à un relâchement sanitaire et, parallèlement, à un resserrement au niveau des aides distribuées aux entreprises.»
Une situation qui ferait mal aux plus fragilisées, pour qui les dégâts sont déjà trop importants.
Reste que l’arrivée prochaine d’un vaccin efficace contre le Covid-19 pourrait faire office de «game changer» dans cette crise. Paris attend que l’Agence européenne du médicament (EMA) donne son feu vert concernant l’autorisation du vaccin de l’alliance biotechnologique américano-allemande Pfizer/BioNTech qui a déjà commencé à être utilisé au Royaume-Uni. L’EMA devrait se prononcer au plus tard le 29 décembre avant de se pencher sur d’autres vaccins, notamment celui de l’américain Moderna.
Le gouvernement espère lancer une campagne de vaccination en janvier. Mais de très nombreux Français sont méfiants. D’après un récent sondage IFOP-Fiducial pour CNews et Sud Radio, 61% des personnes interrogées ont déclaré ne pas avoir l’intention de se faire vacciner contre le coronavirus. Et les récentes polémiques entourant les effets secondaires constatés sur des patients ayant reçu le vaccin de Pfizer risquent d’alimenter le sentiment de défiance de beaucoup de Français.
«S’il n’y a pas de vaccin, [...] si personne ne se faisait vacciner, il faudrait imaginer que, d’ici à, tenez-vous bien, mars 2022, on ait [...] un à dix épisodes de confinement/reconfinemet», avertissait le 12 décembre sur BFM TV le professeur Philippe Juvin, chef des urgences à l'hôpital Pompidou et maire Les Républicains de la Garenne-Colombes.
Le manque de confiance des Français dans les vaccins anti-Covid pourrait-il prolonger la crise? Bruno Ducoudré ne s’inquiète pas:
«Nous pourrons observer la situation dans d’autres pays qui auront commencé à vacciner avant. Si nous constatons chez eux une forte chute de l’épidémie qui entraîne une diminution des mesures contraignantes, le tout sans problème sanitaire, on peut imaginer une multiplication des appels à la vaccination en France avec une meilleure acceptation des citoyens.»
En attendant, afin de limiter la casse économique et sociale, le gouvernement mise notamment sur son plan «Un jeune, une solution». Les «premiers signaux positifs» sont perçus au niveau du recours à la prime à l'embauche, de la progression des contrats d'apprentissage et des parcours d'accompagnement pour les plus éloignés de l'emploi. De plus, environ 400.000 travailleurs précaires pourront compter sur une garantie de ressources de 900 euros par mois jusqu’en février 2021.
Les associations d’aide alimentaire tirent la sonnette d’alarme
Mais les dégâts sont déjà colossaux dans de nombreux foyers. Les départements constatent une hausse des bénéficiaires du RSA estimée à 8,5% sur un an fin septembre. Les associations d’aides alimentaires tirent également la sonnette d’alarme. Elles ont enregistré entre 10 et 25% de nouveaux inscrits pour leur campagne cet hiver 2020-2021. À Marseille, le Secours catholique n'hésite plus à parler de «crise humanitaire», d’après Nice-Matin.
Même son de cloche à l’autre bout de la France. Jean-Paul Courchelle, secrétaire général du comité de Barlin du Secours populaire (Hauts-de-France) a crié sa colère à Liberté Hebdo: «Sur le plan national, un Français sur trois a perdu des revenus depuis le premier confinement. Aussi, nous déplorons que la majorité gouvernementale ait voté récemment la réduction de 11% de la dotation aux associations en charge de la distribution de vivres. C’est scandaleux.»
Fin novembre, il notait que, grâce à la structure dont il a la charge: «136 personnes vivant avec moins de sept euros par jour, bénéficieront d’une aide alimentaire contre 80 à la même époque l’an dernier.»
Bruno Ducoudré rappelle que cette augmentation de la pauvreté s’ajoute «à une hausse que l’on a constatée ces dix dernières années». Il met de nouveau en avant la violence de cette crise: «Le choc sur l’activité est inédit. Les destructions d’emplois que l’on a connus en 2020 sont historiques de par leur ampleur. Une partie des études sur la pauvreté nous explique que bien souvent tout commence par la perte de l’emploi.»