Sputnik - Vous êtes candidate à l’élection présidentielle centrafricaine 2020. Qu’est-ce qui vous a fait revenir dans la course politique cette année? Qu’est-ce que vous voudriez apporter à votre pays aujourd’hui?
Catherine Samba-Panza - Tout le monde se demande pourquoi Catherine Samba-Panza revient dans la course politique surtout qu’en sortant de transition, j’avais dit que je n’allais plus revenir sur la scène politique. Mais quand on a eu le privilège d’occuper les plus hautes fonctions de l’État, on n’est plus maître de son destin. J’ai eu de nombreux appels de mes compatriotes m’invitant à revenir dans les affaires et à présenter à nouveau ma candidature. J’ai un sens du devoir qui m’anime en tant que citoyenne, en tant que femme leader, je ne pouvais pas rester insensible non seulement à la situation des populations centrafricaines, à la situation du pays, et à ces appels-là. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de répondre positivement à tous ces appels-là et d’apporter ma contribution.
La République centrafricaine est dans une situation de grande fragilité, d’extrême fragilité, et les populations sont également en état d’attente en termes de sécurité, de santé, de services sociaux de base, d’autonomisation des femmes, d’éducation, etc. Il est donc important d’élaborer un programme qui va pouvoir tenir compte de ces situations, et de répondre aux besoins, surtout alimentaires, des populations.
Sputnik - Vous êtes la seule femme candidate à la présidentielle. Qu’est-ce que vous ressentez en représentant ainsi toutes les femmes centrafricaines, dont les voix ne sont pas entendues?
Catherine Samba-Panza - En tant que femme, je sollicite les voix des femmes, ma candidature à la présidentielle n’a pas une ambition de conduire un combat féministe, c’est plutôt un combat politique général pour remettre mon pays, après plusieurs années de crise, sur les rails. Je ne peux pas oublier que j’ai un long passé d’engagement pour que la femme soit plus présente dans la gestion des affaires publiques. Je mène depuis plusieurs années un combat pour que les voix des femmes soient de plus en plus entendues. Et je comprends que je représente pour les femmes quelque chose d’important et qu’elles pensent qu’une femme aux affaires pourrait peut-être mieux répondre à leurs attentes. C’est pour cela que dans mon programme j’ai ciblé les jeunes et les femmes pour m’adresser à eux.
Sputnik - Vous avez toujours milité pour la cause féminine en RCA, comment continuez-vous votre lutte aujourd’hui et comment cela se reflète dans votre programme?
Catherine Samba-Panza - Malgré la prise législative et juridique des traités internationaux par la RCA pour promouvoir les droits des femmes, les femmes de leur côté vivent encore dans la situation qui ne les met pas à égalité des chances avec leurs frères centrafricains.
Et les jeunes également sont dans une grande difficulté, parce qu’il y a des problèmes d’éducation, d’emploi pour les jeunes, des problèmes de sécurité, qui se posent également, et je pense qu’il est de mon devoir en tant que femme d’essayer d’adresser un programme qui tient vraiment compte de la situation des femmes et des enfants et des jeunes.
En ce qui concerne les femmes, il faut absolument améliorer les textes au niveau national pour permettre une meilleure application des textes juridiques auxquels nous avons souscrit. Cette protection juridique effective est très importante, et il faut que les femmes connaissent ces droits-là ; tant qu’elles ne connaissent pas leurs droits, elles ne peuvent pas les revendiquer. Je vais essayer de faire un état des lieux des textes juridiques sur les droits des femmes et revoir leur application effective. Nous avons ce qu’on appelle «le code de la famille» chez nous, qui est censé protéger les femmes et les enfants, qui malheureusement rencontre beaucoup de problèmes de mise en œuvre, cela va être une de mes priorités. Ensuite, il faut donner des moyens d’autonomisation aux femmes, elles sont dans le secteur informel, leur contribution à l’économie nationale n’est pas prise en compte, il faut encourager les femmes à aller vers des secteurs où elles seront véritablement mises en valeur. Il faut également encourager les femmes qui sont dans le domaine agricole, où ce sont elles qui constituent la plus grande main d’œuvre. Il faut se tourner vers les femmes rurales et essayer d’améliorer leurs conditions de vie. Et puis les violences dont les femmes sont victimes, de toutes sortes –c’est un de mes engagements de toujours de lutter contre les violences faites aux femmes.
En ce qui concerne les jeunes, nous avons des problèmes d’éducation, qui n’est pas adaptée au contexte actuel: en sortant des formations, les jeunes se retrouvent sans emploi, il faut mettre l’accent sur les formations professionnalisées, qui permettent aux jeunes d’être sur le marché de l’emploi.
Sputnik - Comment évaluez-vous les autres candidats? Qui considérez-vous comme vos adversaires forts?
Catherine Samba-Panza - Je ne néglige ni ne surestime aucun candidat. Tous les Centrafricains qui se sont portés candidats aux élections l’ont fait en fonction de leur conscience, en mesurant l’enjeu de leur engagement. Moi, personnellement, au regard de mon expérience et de mon parcours j’ai les atouts nécessaires pour devenir le prochain chef d’État centrafricain. J’ai déjà dirigé mon pays durant la période de transition et mon bilan a été jugé positif par les communautés nationale et internationale, j’ai tenu le pari du respect de l’engagement sans être candidat à la fin de transition. J’ai été le catalyseur du processus de réconciliation nationale et je suis profondément démocrate, et je suis sûre que je pourrais faire renouer la République centrafricaine avec le monde émergent.
Sputnik - La présence russe en RCA est très discutée par la communauté internationale. Comment évaluez-vous ces relations?
Catherine Samba-Panza - Il y a une tradition de coopération de relation bilatérale et diplomatique avec la Russie dès l’époque de l’Union soviétique. Cette coopération existe dans les domaines stratégiques tels que l’éducation, la formation, la sécurité, l’économie. Je vais vous surprendre, mon mari, Monsieur Samba-Panza, a fait ses études en Union soviétique et il a eu son premier enfant là-bas, c’est un diplômé et il a bénéficié d’une bourse de l’État soviétique, et il n’est pas jeune, c’est pour vous dire que nous avons une longue tradition de coopération. Mais ce que je crains personnellement, c’est qu’il y ait des relations d’affaires opaques avec des conglomérats privés. Ce genre de relations qui n’est pas dans les intérêts du peuple centrafricain. Si le peuple me fait confiance, j’opterai pour développer un vrai partenariat gagnant-gagnant entre les deux États dans les domaines qui nous paraîtront porteurs pour transformer la RCA en chantier à ciel ouvert et nous aurons besoin de tous les pays amis, la Russie y compris.
Sputnik - Est-ce que, d’après vous, il y a des risques d’un déroulement agité des élections cette année?
Catherine Samba-Panza - J’ai lu il y a quelques jours une note qui a été publiée par les Nations unies sur la situation des élections et le contexte dans lequel ces élections vont se dérouler et où sont exprimées pas mal de préoccupations et d’inquiétudes en ce qui concerne les questions sécuritaires, la cohésion, de paix. Il y a beaucoup de candidats et il y a beaucoup d’antagonismes parmi ces candidats, chacun essayant de se positionner et on sent un peu au sein de la classe politique un manque de confiance, une suspicion envers les autres et surtout envers le processus électoral. Ce n’est pas de nature à nous conduire vers des élections apaisées. Les questions de délai dans l’organisation et le processus ont été également mises en avant et cela a failli remettre en cause l’organisation du scrutin, Dieu merci, nous y allons maintenant de manière sûre, mais pas de manière rassurée. C’est pour ça que je lance un appel à tous les Centrafricains pour aller à ces élections de manière apaisée, dans la fraternité et la cohésion. Mais surtout dans la situation sécuritaire qui peut permettre à tous les Centrafricains d’aller voter et à tous les candidats d’aller se battre dans toutes les régions, car des parties de nos territoires sont occupées par des groupes armés, ce qui nous interpelle et nous nous interrogeons sur le bon déroulement du processus électoral.