Pourquoi l’industrie de la mode camerounaise a-t-elle autant de mal à se faire une place dans les garde-robes? Cette question anime les échanges entre Camerounais sur la Toile. Blogueurs et influenceurs ont lancé le débat pour attirer l’attention sur une filière qui tarde à décoller.
Pour contrecarrer la domination des produits importés, des créateurs tentent de se démarquer au moyen d’une offre créative. À en croire des stylistes comme Patrick Soh, promoteur de la marque Soh Cameroun, ils ambitionnent de capter une clientèle en quête d’originalité.
«Certains jeunes veulent oser quelque chose de différent. Il y a de cela quelques années, c’était plus difficile. Mais, à présent, on peut dire que les choses commencent à changer», se félicite-t-il au micro de Sputnik.
«J’ai lancé ma marque il y a environ quatre ans. Ma vision était de vendre le savoir-faire camerounais à l’échelle mondiale tout en valorisant, évidemment, le textile africain. Ma marque est l’expression de notre identité, de notre authenticité», dit-il fièrement à Sputnik.
Une production locale insignifiante et coûteuse
Ce type de discours commence à porter. Des marques naissent chaque jour, toujours dans l’optique de valoriser l’industrie d’habillement locale. Hélas, cette floraison cache mal le manque de capacités de production sur place! «Il faut mettre ce déficit sur le compte de la cherté et parfois l’indisponibilité des intrants», explique Arnaud de Wecapounet qui confie être en rupture de stock depuis quelques mois déjà.
À ces difficultés, il convient d’ajouter le prix de vente qui est souvent trop élevé pour certains consommateurs. C’est du moins l’avis d’Annie Kouakep, fan inconditionnelle des marques locales. Pour elle, il faut revoir la politique des prix afin d’encourager la consommation de masse.
«Les marques locales sont encore trop chères. On a bien envie d’en avoir, mais vous conviendrez avec moi qu’une chemise vendue en moyenne à 10.000 francs CFA (18 dollars) n’est pas à la portée de tous. Comme moi, beaucoup se retournent donc vers les vêtements de seconde main ou des importations d’Asie qui peuvent coûter jusqu’à cinq fois moins cher», avoue-t-elle à Sputnik.
«Je porte le pagne local d’abord par patriotisme économique, ensuite par fierté», nous confie Jules Joachim Edimo, 23 ans, avant d’ajouter: «Si tout le monde faisait comme moi, les vêtements venus de Chine auraient moins de succès dans ce pays.»
Le diktat des vêtements importés
C’est que le petit sursaut d’orgueil patriotique constaté çà et là ne doit pas masquer une réalité implacable: le Cameroun importe toujours plus de vêtements. En 2019, le pays a dépensé plus de 100 milliards de francs CFA (184 millions de dollars) pour l’importation de 121.935 tonnes de matières textiles. Sur ce montant astronomique, près de 40 milliards de francs CFA (73 millions de dollars) ont été consacrés aux habits de seconde main (73.170 tonnes), soit une hausse de 6,4% par rapport à l’année précédente. La filière textile, encore balbutiante, s’en trouve étouffée.
Selon un document du Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) datant de février dernier, les industries de la filière textile et cuir souffrent du vieillissement de l’outil de production.«Les rares unités existantes sont, y apprend-on, menacées par la concurrence asiatique, la friperie, la contrebande et la contrefaçon.» Sans une stratégie adaptée, les petits producteurs risquent fort bien de ne pas faire long feu. Consultant en marketing et directeur des opérations d’une agence de conseil en communication, Hugues Martial Ngomeni nous l’a confirmé.
«La capacité de production est très faible et le recours à l’artisanat fait exploser le coût de revient. Cela a un impact direct sur le prix de vente. Cependant, en se mettant en coopérative, faute de mieux, les PME peuvent effectivement changer la donne en passant à une échelle industrielle afin de tutoyer la concurrence étrangère», suggère l’analyste approché par Sputnik.
«Les marques ne sont pas suffisamment connues. Vous comprenez qu’elles doivent communiquer. Seulement, on est encore très complexés par le prétendu prestige de ce qui vient d’ailleurs. Sans une vraie communication pour déconstruire cette perception, les produits qui viennent d’ailleurs auront encore de beaux jours devant eux», conclut-il au micro de Sputnik.
Pour l’instant, en attendant la modernisation des outils de production et des mesures incitatives pour booster la consommation du «made in Cameroun», l’industrie de la mode reste embryonnaire. La quasi-totalité du marché demeure la chasse gardée des importateurs, aussi bien dans le neuf que dans les friperies!