Le Canada se retrouve malgré lui associé à une affaire d’exploitation sexuelle de mineurs depuis que le New York Times a publié une enquête accablante pour le site pornographique Pornhub.
Filiale de la compagnie MindGeek, enregistrée au Luxembourg, mais administré à Montréal, au Canada, le site Pornhub est accusé de proposer des vidéos de scènes de viol, d’exploitation et même de torture de mineurs. Ces scènes sont tournées dans plusieurs pays dans le monde et ensuite téléchargées sur la plateforme par des usagers.
De nombreux cas d’exploitation de mineurs compromettants
Dans son article intitulé «Les enfants de Pornhub», le journaliste Nicholas Kristof partage le témoignage de plusieurs victimes de ces actes d’exploitation, victimes qu’il a pour la plupart rencontrées. Il donne entre autres l’exemple d’une jeune femme de 15 ans, portée disparue en Floride et dont la mère identifiera sur Pornhub pas moins de 58 vidéos d’elle. Nicholas Kristof donne aussi l’exemple du viol filmé d’une fille de 14 ans, retrouvé sur le site. De même, il évoque la torture par plusieurs hommes en Chine d’une jeune femme dont l’âge n’est pas spécifié.
Coup dur pour l’image du Canada: des élus montent au créneau
La sénatrice Julie Miville-Dechêne et vingt élus fédéraux ont prié Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, de rapidement lancer une enquête sur Pornhub et de sanctionner le site pour ses vidéos «démontrant des crimes sexuels de masse comme le viol, la traite, la maltraitance et l’agression d’enfants». Une demande à laquelle n’a pas directement répondu Justin Trudeau lorsqu’il a été appelé à commenter l’affaire, le 4 décembre dernier:
«Nous avons toujours été extrêmement préoccupés par la violence fondée sur le genre, l’exploitation des mineurs et la pornographie juvénile. Nous allons continuer à travailler avec les services de police et les agences de sécurité et tous les moyens possibles pour garantir la sécurité de tous les Canadiens», a déclaré Trudeau.
Criminologue réputée au Canada, Maria Mourani confie à Sputnik ne pas du tout être étonnée que ce genre de contenu illégal se retrouve sur un site comme Pornhub. Mme Mourani a récemment participé en tant qu’experte à la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs organisée par le gouvernement du Québec. La criminologue estime qu’une commission d’enquête doit être mise sur pied pour faire la lumière sur les cas de pornographie juvénile impliquant des sites comme Pornhub, comme le recommande la même commission provinciale:
«La première chose que nous devons faire est d’initier une enquête approfondie sur la pornographie au Canada et ses conséquences, en termes de diffusion, de production et de distribution, etc., de manière à bien comprendre les ressorts de cette industrie et de pouvoir identifier les solutions et mesures pour lutter contre le problème. Il faut trouver les failles de nos lois et de notre système qui permettent à ce genre de compagnie d’exister», souligne Maria Mourani à notre micro.
Selon Pierre-Hugues Boisvenu, sénateur conservateur engagé pour la cause des droits des victimes, Justin Trudeau doit impérativement adopter des mesures plus concrètes pour lutter contre ce type d’exploitation sexuelle.
Pornhub se classe au dixième rang des sites Internet les plus consultés au monde, selon le site Similar Web, devançant même Amazon d’une place. Dans son rapport annuel pour 2019, Pornhub a déclaré avoir fracassé le record de 42 milliards de visites et avoir dépassé le nombre de 6,8 millions de vidéos, lesquelles peuvent être téléchargées par les internautes, et ainsi continuer à circuler même après leur retrait pour une raison donnée.
L’exploitation de mineurs, partie émergée de l’iceberg de la pornographie?
Selon Maria Mourani, s’il faut s’attaquer en priorité à l’exploitation des mineurs, c’est la pornographie dans son ensemble que les États doivent mieux réguler:
«Nous sommes encore au point de départ: les solutions sont encore à trouver. […] Mais en tant que société, nous n’avons pas à accepter que la pornographie soit normalisée, car elle est basée sur des clichés violents et des rapports de domination. La pornographie est un cancer qui ronge notre société», tranche la criminologue.
«Le problème aussi, c’est que plusieurs sites vont cataloguer des vidéos de simulation de viol. Il y a aussi des catégories "teens" [adolescents, ndlr]. Est-ce que ce sont vraiment des mineurs qui sont utilisés comme le nom de la catégorie le dit? Difficile à déterminer», observe la spécialiste de la prostitution et de la traite des personnes.
Dans la foulée des révélations du New York Times, les gestionnaires de crédit Visa et Mastercard ont annoncé qu’ils étudiaient leurs liens avec le géant pornographique. Quant à Pornhub, sa direction rejette toujours les allégations:
«Nous avons une tolérance zéro pour les contenus d’agressions sexuelles envers des enfants. Pornhub est résolument engagé dans la lutte contre [ces contenus, ndlr] et a institué une politique de confiance et de sécurité de pointe pour identifier et éliminer les contenus illégaux de notre communauté», s’est défendu la direction de l’entreprise par voie de communiqué.