Depuis la mort de Badreddine Aloui, elle enchaîne les réunions. Ahlem Belhaj est la secrétaire générale du Syndicat des médecins hospitalo-universitaires.
«La mort de notre jeune collègue à Jendouba [dans le nord-ouest du pays] est venue concrétiser et renforcer notre diagnostic de la situation: la sécurité n’est plus assurée ni pour le personnel médical ni pour les malades», explique-t-elle à Sputnik.
La semaine dernière, le décès d’un interne tombé dans la cage d’un ascenseur en panne de l’hôpital régional de Jendouba a soulevé une vague d’émotion en Tunisie. Sur les réseaux sociaux, certains médecins ont changé leur photo de profil, ajoutant un bandeau portant le hashtag «hôpitaux de la mort», en dialecte tunisien.
La colère s’est depuis muée en véritable mouvement de protestation parmi les soignants. Les trois syndicats du secteur appartenant à la principale centrale de Tunisie, l’UGTT, se sont ainsi réunis durant le week-end. Des discussions auxquelles a également participé l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM), une association qui fait office de fer de lance de la contestation.
«Il faut que ce soit un programme rapide, sinon la santé publique va couler en Tunisie», prévient Zied Bouguerra, membre fondateur de l’OTJM.
Des contacts ont été noués avec les conseillers du chef du gouvernement Hichem Mechichi. Ce dernier doit recevoir les médecins ce mardi 8 décembre.
Gouvernement mobilisé
Depuis le début de la crise, Hichem Mechichi a montré son empressement à apporter des solutions. Venue à Jendouba le lendemain du drame –perturbée d’ailleurs par un accueil hostile des populations–, visite à la famille de la victime et déclarations choc.
«Nos hôpitaux sont devenus des cimetières non seulement pour les patients, mais aussi pour le personnel de santé», a-t-il déclaré à Kasserine (dans le nord-ouest du pays) le vendredi 4 décembre dernier, alors qu’il venait présenter ses condoléances aux proches du jeune interne.
«Des décisions urgentes seront prises pour sauver ce secteur vital», promet-il, estimant que cette tragédie doit servir à lancer une véritable réforme du secteur.
Face à ces annonces, Zied Bouguerra attend encore des actions concrètes.
Ahlem Belhaj ne veut pas que la mort du chirurgien reste impunie. «On demande que l’État et toutes les instances dirigeantes du pays assument leurs responsabilités.» Le ministère de la Santé a déjà commencé à faire le ménage. Plusieurs limogeages ont été annoncés, dont la directrice adjointe de l’hôpital régional de Jendouba.
Dans le même temps, une réévaluation de la sécurité dans les hôpitaux publics va avoir lieu ainsi que le doublement du budget consacré à la maintenance de ces mêmes établissements pour 2021.
Une série noire
Pour Jed Henchiri, président de l’OTJM, c’est le ministre de la Santé qui aurait dû perdre son poste. «[Il] était informé des défaillances, mais il a choisi de ne pas voir. Il est le premier responsable», a-t-il accusé sur les ondes de la radio Shems FM ce lundi 7 décembre. «Nous assistons aujourd’hui à l’effondrement de la définition de l’État et de la valeur travail au sein de l'administration tunisienne», déplore-t-il.
«C’est de l’anarchie, du pur amateurisme, aucune autorité ne se sent responsable. […] Il y a une véritable nonchalance.»
Depuis la révolution, explique-t-il à Sputnik, l’instabilité politique s’est installée. «Est-ce que l’on peut demander à un ministre, qui a été nommé deux semaines avant, de faire des réformes profondes dans le secteur de la santé?»
Le risque désormais, explique à Sputnik l’historien, c’est que le gouvernement opte pour «des solutions temporaires», qu’il tente de «calmer les esprits momentanément», sans s’attaquer aux causes structurelles qui ont engendré l’absence de l’État.