Une véritable orgie de liquidité qui fait office de bouée de sauvetage pour des milliers de sociétés. Depuis que l’exécutif a décidé d’octroyer aux entreprises des prêts garantis par l’État (PGE) afin qu’elles fassent face à la crisedu Covid, le succès est au rendez-vous. Il suffit de s’attarder sur les chiffres: plus de 125 milliards d’euros d’aides ont ainsi été accordés à plus de 600.000 entreprises.
Paris est loin d’être le seul à avoir mis en place un tel système mais aucun de ses partenaires européens ne l’a autant utilisé. C’est l’Italie qui suit avec 120 milliards d’euros distribués, devant l’Espagne (108 milliards). À titre de comparaison, le Royaume-Uni n’a fourni «que» 88 milliards et l’Allemagne encore moins, avec 55 milliards.
Des prêts accordés trop facilement?
D’après le docteur en sciences économiques Philippe Simonnot, c’est loin d’être fini, comme il l’explique au micro de Sputnik:
«Vu la conjoncture, nous pouvons d’ores et déjà tabler sur 140 à 150 milliards de prêts garantis distribués en 2020. C’est énorme.»
En très grande majorité, ces derniers ont été octroyés à de petites entreprises. Plus de 90% des prêts ont bénéficié à des TPE et des PME.
Mais cette solution n’est pas sans risque. En cas de banqueroutes des sociétés ayant bénéficié de ces dispositifs, l’État sera fortement mis à contribution: à hauteur de 90% du montant pour les TPE et les PME, et de 70 à 80% pour les grandes entreprises.
De plus, il semble que les critères d’attribution ne soient pas très restrictifs, comme l’a confié Laurent Munerot à Franceinfo: «Honnêtement, il n’y a pas eu beaucoup d’entreprises qui n’ont pas eu droit au PGE. En poussant, nous avons même réussi à ce que des sociétés en situation délicate puissent en bénéficier.»
D’après les chiffres de l’exécutif, le taux de refus de PGE atteint seulement 2,8% des entreprises éligibles. «Les critères d’attribution des PGE sont relativement souples. Tant que vous n’êtes pas engagé dans une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire et que le niveau de vos capitaux propres vous laisse à l’écart de la définition d’entreprise en difficultés selon les règles européennes, le dossier passe», explique à Franceinfo Serge Pelletier, avocat spécialiste du droit des entreprises en difficultés.
Les PGE ont donc permis à de très nombreuses entreprises de ne pas faire faillite. Mais jusqu’à quand? «Le gouvernement a simplement retardé l’échéance. Il va y avoir une crise économique majeure qui va forcément entraîner une vague de banqueroutes. Les sociétés bénéficient actuellement de faveurs de trésorerie. Mais cette situation a pour conséquence de faire grossir les passifs. Et à terme, il faudra payer», analyse l’avocat. Un point qu’a récemment relevé sur Sputnik l’écrivain et soutien des Gilets jaunes Philippe Pascot: «Et je ne parle pas des soi-disant prêts garantis par l’État à destination des commerçants en difficultés. Ils devront de toute façon rembourser les banques. Ce qui signifie plus d’endettement pour des individus dont les recettes sont au plus bas.»
Le deuxième confinement va-t-il faire s’envoler les défauts de paiement? Difficile à dire, mais de nombreux observateurs appellent à la prudence.
Un taux de défauts de paiement sous-estimé?
Dans un récent entretien donné à La Tribune, Thierry Gardon, président du tribunal de commerce de Lyon, explique que certaines sociétés ont «déjà bien entamé leur PGE et souhaitent désormais voir comment elles peuvent renégocier leurs créances et leur niveau d’endettement global. On pense malheureusement que les petites entreprises vont probablement les rejoindre dans les semaines qui viennent...»
«Au début, beaucoup d’entreprises ont pris ces prêts sans intention de s’en servir, juste pour avoir un filet de sécurité au cas où les choses tourneraient mal. Cela a été le cas pour un certain nombre d’entre elles», analyse Philippe Simonnot.
«Il y a des entreprises qui n’ont pas sollicité de PGE au premier confinement et qui en font la demande maintenant. Cela signifie donc que la situation se tend. Sachant qu’au printemps, j’ai des clients qui l’ont pris en pensant ne pas avoir à l’utiliser. Et aujourd’hui, non seulement ils l’ont utilisé, mais ils en réclament un deuxième», explique à Franceinfo Yves Marmont, expert-comptable dans l’Ain et président de la Fédération des centres de gestion agréés (FCGA).
Pour le moment, le gouvernement se fonde sur l’hypothèse de 4,6% de défaut de paiement sur l’ensemble des prêts. Cela représenterait des pertes nettes de 3,6 milliards d’euros. Mais comme le note Franceinfo, ce scénario, basé sur une étude de la Banque de France, a été rédigé avant le deuxième confinement du pays.
«D’après les retours que j’ai du côté des banquiers, l’on se dirige plutôt vers un taux de défaut de 10%», lance Philippe Simonnot, co-auteur de «Europe’s Century of Crises Under Dollar Hegemony» (Ed. Palgrave Macmillan).
Plus du double donc, et il en irait de même pour les pertes accusées par l’État. Signe de l’impact de la crise, Philippe Simonnot estime qu’un taux de 10% serait raisonnable. Comme le soulignait déjà en avril The Economist, l’économie tourne à 90% de ses capacités.
Les Français à la caisse?
L’expert juge qu’un taux de 20% de défaut sur les PGE n’est pas impossible. «Cela ne serait pas si étonnant», martèle l’économiste, rappelant que des secteurs entiers de l’économie sont sinistrés: «Ce qu’il se passe aujourd’hui est totalement hors-norme.»
«Et l’année 2021 ne s’annonce pas bonne», prévient-il.
Anticipant des problèmes, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a assuré que les entreprises en difficultés pourraient demander une deuxième année blanche avant de commencer à rembourser, contre une seule auparavant.
Il le répète à l’envi: «Tant que je serai ministre, il n’y aura pas d’augmentation d’impôts en France.» Pourtant, il y a fort à craindre que l’État répercute ses pertes sur les Français. C’est en tout cas l’avis de Philippe Simonnot:
«Évidemment, d’une manière ou d’une autre. Comme disait Colbert, le ministre des Finances de Louis XIV, "l’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris". Il faut donc trouver les volailles qui crient le moins et je pense que ce sont les retraites qui vont subir le tout, mélangé à un peu d’inflation.»
Philippe Simonnot ne voit pas le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF) «dans ce quinquennat, cela me semble impossible». Mais quelqu’un va forcément payer. Il n’y a pas de repas gratuit.
La situation est d’autant plus compliquée pour le gouvernement qu’un juste milieu est à trouver afin d’éviter un arrêt trop brutal des aides mais également une trop forte dégradation des finances de la nation. C’est ce que s’est chargée de rappeler la Banque centrale européenne (BCE) le 25 novembre.
D’après l’institution basée à Francfort, une «fin abrupte [...] pourrait entraîner [...] une contraction économique plus sévère que pendant la première vague de la pandémie». Dans le même temps, ces aides gouvernementales doivent rester «ciblées sur le soutien économique lié à la situation sanitaire» pour éviter «les problèmes de viabilité de la dette à moyen terme».
«Madame Lagarde est marrante. Son discours était de dire que la BCE avait fait le boulot et que maintenant, c’était aux États de faire le leur», lance Philippe Simonnot.
«Il faut rappeler que ces gens ont le regard vissé sur la Bourse et que le moindre ralentissement dans l’injection de liquidité fait tanguer les marchés. C’est une drogue et il faut donc des doses de plus en plus fortes. Tout cela va très mal finir», conclut l’expert.