Le numéro deux d’Al-Qaïda*, Abdullah Ahmed Abdullah, plus connu sous le nom de guerre Abou Mohammed al-Masri, aurait été tué dans un «drive-by shooting» dans les rues de Téhéran en août dernier par des agents de terrain du Mossad, grâce à des renseignements fournis par la CIA.
Le conditionnel est ici de rigueur, puisque cette information du New York Times, qui cite des sources anonymes au sein du renseignement américain, n’a été confirmée, ni par les Américains, ni par les Israéliens ou même Al-Qaïda*. Pour leur part, les autorités iraniennes démentent catégoriquement que cet événement ait eu lieu.
«Le New York Times doit vérifier ses sources. Le Président afghan et le Conseil suprême de la sécurité nationale de l’Afghanistan avaient annoncé il y a déjà un mois qu’al-Masri avait été tué à Ghazni en Afghanistan», rappelle au micro de Sputnik Saeed Khatibzadeh, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères.
En Occident, le mal est pourtant fait et certains médias prennent l’information du quotidien américain pour argent comptant. Ce qui a pour conséquence de remettre au goût du jour la question d’une présumée entente entre Al-Qaïda* et Téhéran.
En 2018 déjà, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo lançait: «Aujourd’hui, nous le demandons au peuple iranien: est-ce que vous voulez que votre pays soit connu pour être un co-conspirateur avec le Hezbollah, le Hamas, les taliban et Al-Qaïda*?»
La question à laquelle Téhéran semble avoir une réponse assez claire:
«Les attaques et les accusations contre l’Iran sont infondées, poursuit le représentant du ministère iranien dans un commentaire à Sputnik. Tout le monde sait qui donne de l’argent à Al-Qaïda* et aux takfiri, qui les a créés et qui les réhabilite aujourd’hui pour profiter des forces séparatistes de Daech* et d’Al-Qaïda*. Nous sommes parfaitement au courant des tentatives des USA dans ce sens. Il faut chercher les criminels parmi ceux qui ont créé Al-Qaïda* et qui s’appuient dessus.»
Une référence à peine voilée au soutien américain à Al-Qaïda* durant la guerre en Afghanistan, mais aussi à l’appui de certaines agences étatsuniennes au groupe dans les conflits plus récents, dont la guerre en Syrie. La République islamique d’Iran fait face, quant à elle, au groupe terroriste en le combattant aux côtés de l’armée syrienne.
«L’opposition entre Al-Qaïda* et l’Iran est telle qu’elle justifie la présence de forces iraniennes en Syrie pour lutter contre ce qu’ils appellent les “takfiri” [“excommunicateurs” en arabe, ndlr]. Aujourd’hui encore, des forces iraniennes se battent aux côtés des forces de Bachar el-Assad contre des groupes liés à Al-Qaïda* ou successeurs d’Al-Qaïda*», explique Thierry Coville, chercheur sur l’Iran à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) interrogé par Sputnik.
Une analyse partagée au micro de Sputnik par le ministère des Affaires étrangères iranien:
«Ceux qui connaissent ce qu’est l’idéologie takfirie comprennent que ce mouvement radical est le plus hostile envers l’Iran chiite, et que ses adeptes sont capables à tous les crimes face aux chiites.»
L’accusation envers Téhéran d’être de mèche avec Al-Qaïda* a été notamment véhiculée par Washington quelques mois avant de se retirer de l’accord sur le nucléaire. Les masses de documents saisis lors du raid qui a mené à la mort d’Oussama Ben Laden à Abbottabad, au Pakistan, ne le prouvent pourtant pas.
«Opposition fondamentale entre la République islamique d’Iran et Al-Qaïda*»
Au contraire, affirme la chercheuse Nelly Lahoud, membre émérite du Centre de lutte contre le terrorisme de l’Académie militaire américaine de West Point. Cette dernière s’appuie sur l’étude approfondie de près de 300 documents récupérés en 2011 par les forces spéciales américaines dans la maison de Ben Laden, et qui sont désormais déclassifiés.
Celle-ci le résume clairement: «Al-Qaïda* perçoit l’Iran comme une entité hostile.» Elle ajoute que «les documents examinés ne fournissent aucune preuve de coopération entre Al-Qaïda* et l’Iran sur la planification ou l’exécution d’attaques.» Même son de cloche chez Thierry Coville:
«D’un point de vue idéologique, sécuritaire et politique, il y a une opposition fondamentale entre la République islamique d’Iran et Al-Qaïda*.»
Et ce, même si au moment de l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001, il y a eu des centaines de djihadistes qui seraient entrés avec l’aval de Téhéran dans le pays pour y trouver refuge, selon le rapport rédigé par les chercheurs américains, dont Nelly Lahoud. Les djihadistes auraient été en grande majorité assignés à résidence, ils ne pouvaient pas quitter le territoire ni communiquer avec l’extérieur. Dès que ceux-ci entravaient ces règles, ils étaient le plus souvent expulsés dans leurs pays d’origine. La logique de la démarche étant de garder un œil sur eux afin de les utiliser par la suite comme monnaie d’échange contre les puissances occidentales et comme rempart contre le groupe terroriste lui-même, selon Nelly Lahoud.
Levier de négociation
Le journaliste Lemine Ould Salem, réalisateur avec François Margolin du film-choc Salafistes (2016), a pu rencontrer à de multiples reprises Abou Hafs al-Mauritani, l’un des djihadistes les plus hauts gradés d’Al-Qaïda* à avoir résidé en Iran et il est sans équivoque au micro du Point:
«Les Iraniens n’ont pas soutenu Al-Qaïda*, mais les ont manipulés. Les Iraniens ont joué un jeu très simple […] À mon avis, ils ont envisagé à un moment donné de monnayer ces djihadistes contre un changement de position des puissances occidentales sur l’arme nucléaire. Ils ont pu également les manipuler contre le rival saoudien.»
Pendant la guerre en Irak, lorsqu’avaient lieu des attaques contre des mosquées ou d’autres cibles chiites par des groupes radicaux sunnites, la République islamique aurait utilisé le levier des membres du groupe présents sur son territoire pour que celles-ci s’arrêtent. «Téhéran souhaite également pouvoir contrôler les activités du groupe et ainsi éviter qu’il n’attaque le territoire iranien», d’après Raz Zimmt, chercheur à l’Institute for National Security Studies (INSS).
Reste à savoir pourquoi les États-Unis et certains de leurs alliés persistent à vouloir à tout prix créer un lien entre l’Iran et Al-Qaïda*, un argument autant battu en brèche, y compris au sein de leurs propres institutions.
*Organisation terroriste interdite en Russie