«On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans et ça, il va falloir que cela change.»
Avec Delphine Ernotte, le ton était donné dès le départ. Dans une interview à Europe 1 en septembre 2015, soit quelques semaines à peine après sa nomination, la présidente de France Télévisions annonçait la couleur.
Depuis cette déclaration d’intention, celle qui vient tout juste d’être élue à la présidence de l’Union européenne de radio-télévision a fait le tri dans les rangs du groupe télévisuel: les animateurs Julien Lepers, Philippe Verdier, Frédéric Taddeï, David Pujadas et Tex ont été évincés sans ménagement du service public. Ce dernier s’en était d’ailleurs plaint ouvertement en août à Nicolas Sarkozy: quatre ans après son départ du groupe, la pilule n’était toujours pas passée.
Pourtant, même une motion de défiance adoptée à 84% des voix en décembre 2017 n’avait pas empêché Delphine Ernotte d’être la première dirigeante de France Télévisions reconduite à son poste, en juillet dernier.
Dans une interview au Monde donnée ce lundi 16 novembre, celle-ci a dessiné les grandes lignes de ce second mandat et pointé du doigt la «distorsion trop grande entre la réalité et sa représentation à la télévision».
«Nos publics revendiquent d’être mieux représentés, en matière de parité, de couleur de peau, de handicap, d’origine géographique et sociale. […] D’après le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), les personnes “perçues comme non blanches” représenteraient environ 25% de la société française, contre 15% à la télévision. On a un énorme rattrapage à faire. Ce sera le fil rouge de mon nouveau mandat», affirme désormais Delphine Ernotte.
Cette exigence de «parité» et de «représentativité» des minorités est-elle le faux-nez d’une forme de discrimination positive, une pratique théoriquement interdite en France? Joint par Sputnik, Sami Biasoni, professeur chargé de cours à l’Essec et auteur du livre Français malgré eux (Éd. L’Artilleur), craint les conséquences de telles politiques: «En voulant lutter contre les inégalités, on crée de nouvelles inégalités bien plus terribles.»
«Vernis scientifique sur des choses absolument subjectives»
Le fait que l’ancienne dirigeante de France Télécom cite ouvertement le CSA est d’ailleurs tout sauf anodin, relève Sami Biasoni.
«Delphine Ernotte reprend la terminologie employée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui a créé en 2007 un “observatoire de la diversité” ainsi qu’un baromètre annuel de la diversité. Le CSA classe et organise les individus selon des critères de “blancs” et de “non-blancs” ou encore de genre. On est vraiment dans cette filiation-là.»
Sami Biasoni donne quant à lui une explication très pragmatique à ces chiffres. «Comme les statistiques ethniques sont interdites, on parle de perception de blancheur ou de non-blancheur de peau, ce qui est déjà problématique. On donne en réalité un vernis scientifique à des choses absolument subjectives.»
«Situation à l’américaine extrêmement dangereuse»
Par ailleurs, en cherchant à promouvoir la diversité au sein du groupe audiovisuel, Delphine Ernotte serait «influencée par les modes culturelles en vigueur aux États-Unis», selon Claude Chollet, les Américains n’ayant aucun complexe à s’adonner à l’affirmative action au sein de leurs institutions, de leurs universités et de leurs médias. Encore récemment, l’imposition de quotas pour les films éligibles aux Oscars en était l’illustration. Sami Biasoni s’inquiète que l’on aboutisse en France à «une situation à l’américaine extrêmement dangereuse».
Enfin, si cette tendance des élites françaises à reproduire le modèle multiculturel américain «n’est pas nouvelle», le président de l’Observatoire du journalisme fait remarquer que le processus tend à s’accélérer ces dernières années:
«La nouveauté, c’est que le décalage se réduit de plus en plus rapidement, en l’espace de quelques mois seulement: l’idée de repentance, l’influence LGBT+, l’indigénisme… nous viennent directement du puritanisme anglo-saxon. Delphine Ernotte s’inscrit totalement dans cette affiliation», observe Claude Chollet.