«On touche aux limites du système.»
Alors qu’il était l’un des principaux piliers de l’accusation contre l’ex-chef d’État français dans ce dossier, le sulfureux marchand d’armes a, dans une courte vidéo dévoilée le 11 novembre par Paris Match et BFMTV, dédouané Nicolas Sarkozy d’avoir touché de l’argent de Mouhammar Kadhafi. Un document enregistré à Beyrouth, où Takieddine fuit la justice française après sa condamnation en juin dans le volet financier de l'affaire Karachi.
«Illustration parfaite d’un système judiciaire politisé»
Ce rebondissement fragilise l’instruction menée à charge depuis près de huit ans à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Un coup d’autant plus dur qu’il y a moins d’un mois, le Parquet national financier (PNF) annonçait la mise en examen de l’ancien Président de la République pour «association de malfaiteurs» à l’issue de «quatre jours d'interrogatoires tendus –quarante heures au total» au Tribunal de Paris, comme le relatait le Journal du dimanche (JDD). Un interrogatoire «dont les trois quarts portaient sur les déclarations de Takieddine», précise Régis de Castelnau:
«Les juges d’instruction, et surtout Serge Tournaire, ont tout fait pour essayer d’étoffer le dossier et ils n’ont pas eu grand-chose», tacle l’avocat à l’encontre de celui qu’il présente comme «le fournisseur officiel de mises en examen de Nicolas Sarkozy».
Celui-ci évoque notamment les révélations du JDD concernant l’offre que ce juge aurait faite à Abdallah Senoussiau, beau-frère du colonel Kadhafi, en échange d’un témoignage à charge contre l’ex-Président français: la «mansuétude» de la justice française. Chef des services de renseignement, il est notamment considéré comme l’instigateur de l’attentat de 1989 contre le DC-10 de la compagnie UTA où 54 Français avaient été tués. Par le plus grand des hasards, Serge Tournaire instruit également le dossier d’accusation d’emploi fictif de Pénélope Fillon, pour lequel il a placé en examen François Fillon en mars 2017.
«Cette affaire montre qu’un certain nombre de magistrats ont accepté l’instrumentalisation à des fins politiques. Je crois que ce n’est pas faire injure à ceux qui sont concernés dans le dossier Takieddine que de dire qu’ils ont des opinions politiques. Elles sont avérées», assène Régis de Castelnau.
Celui-ci évoque l’engagement au sein du Syndicat de la magistrature d’Aude Buresi, l’une des deux juges qui instruisent à présent ce dossier Sarkozy. L’avocat dépeint ainsi une «tenaille, complètement politisée» entre d’un côté le juge Tournaire et ses nombreuses instructions lancées «pour des choses qui jusqu’à présent n’ont pas abouti», tant à l’encontre de Nicolas Sarkozy que du couple Fillon, et de l’autre le PNF. Cette institution, créée par François Hollande en 2013 à la suite de l’affaire Cahuzac et dont l’ex-chef Éliane Houlette avait, lors d’une audition à l’Assemblée, révélé la «subordination» vis-à-vis de l’exécutif à travers le Parquet général.
«Il y avait la volonté de se débarrasser d’un candidat de droite, catholique»
Relancée sur le dossier Fillon, l’ex-magistrate a admis des pressions de la chancellerie afin d’ouvrir une information judiciaire à l’encontre du candidat Les Républicains à l’élection présidentielle. «Aujourd’hui, il n’est pas très sérieux d’affirmer que l’affaire Fillon, au printemps 2017, s’est déroulée normalement… Même lorsque vous discutez en aparté avec des magistrats, tout le monde sait très bien ce qui s’est passé», corrobore Régis de Castelnau. Ainsi dépeint-il un «raid» judiciaire ayant mené à la «disqualification politique» du candidat de la droite et du centre.
Aux yeux de l’avocat, si, dans le traitement médiatique d’une affaire judiciaire, le respect de la présomption d’innocence est souvent évoqué, le garant même de ce droit –à savoir le secret de l’instruction– est quant à lui encore moins respecté. «Qui viole le plus ce secret de l’instruction? Ce sont les magistrats!», accuse Castelnau. Une violation du secret de l’instruction qui lui paraît évidente dans le cadre de l’affaire Fillon, où les journalistes étaient au courant du moindre avancement des juges et qui, là encore, témoigne de la politisation des magistrats. «La justice n’est pas là pour ça! Je considère que la pire des corruptions, c’est lorsque ceux qui sont chargés de faire respecter la loi la violent!», affirme-t-il, un brin amer.
Règlement de comptes sous couvert de crise sanitaire
Toujours au titre de ces «raids» qui seraient menés par la magistrature à l’encontre de personnalités politiques, l’avocat évoque le cas des perquisitions mi-octobre aux bureaux et domiciles notamment d’Olivier Véran et d’Édouard Phillippe. Ces fouilles, diligentées dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par la Cour de justice de la République pour «abstention de combattre un sinistre», sont survenues au lendemain même de déclarations d’Emmanuel Macron. «On ne peut pas faire une opération comme celle-là à ce moment-là», tranche Régis de Castelnau, qui souligne «l’inutilité» de cette démarche dans un tel dossier. Pour lui, les motivations de la justice dans cette affaire n’ont pas grand-chose à voir avec la gestion de la crise sanitaire.
«C’était un avertissement envoyé à Emmanuel Macron à la suite de la bataille qui a eu lieu entre la magistrature et la place Vendôme depuis la nomination d’Éric Dupont-Moretti, qui a été perçue par la magistrature comme une agression. Donc une opération pour signifier à Emmanuel Macron qu’il n’était pas à l’abri de poursuites judiciaires à l’issue de son mandat.»
Or, ce bras de fer avec le pouvoir, qui «montre qu’il y a un réflexe corporatiste très puissant», pourrait ne pas rencontrer le soutien de l’opinion. «Je pense qu’ils font fausse route, ils ont une confiance à reconstruire et ils sont très loin du compte», estime l’avocat, soulignant la défiance grandissante des citoyens à l’égard de la justice.
«Les magistrats sont considérés comme étant politisés sur le laxisme concernant la violence, politisés dans l’histoire d’accueil des migrants, politisés dans les opérations menées contre les politiques, et cela commence à trop se voir», conclut Régis de Castelnau.
Au-delà d’un «divorce» entre les magistrats et le système d’une démocratie représentative, se pourrait-il que cette affaire libyenne devienne à terme le procès de la justice elle-même?