Les Marocains en parlent encore en échangeant des images à profusion sur les réseaux sociaux. Au beau milieu de la journée du mardi 20 octobre, Casablanca, comme d’autres régions du Maroc, a été plongée dans la pénombre.
Une énorme tempête de poussière s’est soudainement abattue, teintant l’atmosphère d’une sombre lumière crépusculaire jaune orangé. Fait rare: en plein jour, les voitures circulaient au ralenti dans les ruelles et avenues de la capitale économique du pays, phares allumés, comme si le soleil ne s'était pas encore levé ou s’était couché plus tôt que d’habitude. Brouillard, débris et nuées, tout s’est mélangé dans le ciel pour éclipser l’astre du jour, créant une ambiance martienne digne d’un roman ou d’un film de science-fiction dantesque.
Comme à Casablanca, dans plusieurs villes et provinces du pays, de la région d’Al Haouz au sud jusqu’à Tanger au nord, ce décor surréaliste a alourdi davantage l’atmosphère de crise sanitaire dont la morosité est partout la même. Dans bien des localités de ces larges zones sinistrées, des internautes ont rapporté que l’espace d’une demi-journée, même les oiseaux ont cessé de chanter.
Éblouis par la palette de teintes orangées qui se substituait au ciel d'ordinaire azur, nombreux sont celles et ceux qui n’ont pas pu s’empêcher d’immortaliser l’effroyable spectacle que leur offrait ainsi la nature. La Toile s’est trouvée momentanément inondée de leurs clichés saisissants. En même temps, une pluie de commentaires s’est abattue sur les réseaux sociaux. L’effarement devant ce que certains décrivaient comme l’apocalypse, en faisant référence à certains films cultes, a vite cédé la place à l’humour.
«Information officielle: le prochain Blade runner est en train d’être tourné à Casablanca au Maroc», ironise cet internaute.
En l’absence d’explications officielles sur les causes de la coloration orange du ciel ou sur l’élément déclencheur de cette tempête de poussière, les spéculations ont fusé via les différentes plateformes virtuelles. Chaque internaute y est allé de son explication, souvent très peu scientifique.
De quoi s’agit-il au juste?
Sputnik a contacté des experts marocains pour voir plus clair dans ce brouillard. Mohamed Hanchane est climatologue et enseignant-chercheur à la faculté des sciences de l’université Sidi Mohamed Ben Abdallah de Fès. Pour lui, il s’agit d’un événement météorologique certes spectaculaire, mais classique.
«L’état atmosphérique de mardi dernier a été marqué par la survenue d’un panache de poussière qui provenait d’un flux d’air chaud subdésertique. En surface, on a assisté au passage d’une cellule dépressionnaire au nord du Portugal qui s’est prolongée jusqu’au Maroc. Ce minimum de pression atmosphérique a amené avec lui des vents chauds et poussiéreux en provenance des étendues désertiques du sud du Maroc», détaille le professeur.
Mohammed Said Karrouk, professeur de climatologie et ancien membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) –organisme intergouvernemental et scientifique orienté sur les changements climatiques–, abonde dans le même sens au micro de Sputnik: «Il s’agit d’un amas de poussière qui est venu effectivement du désert et a été transporté dans l’air sous une température élevée. Sauf que l’humidité s’est ajoutée à cette poussière et il y a eu une advection, soit un déplacement d'une masse d'air à l'horizontale. C’est ce qui a provoqué cette violente tempête.»
Preuve de la puissance de cette bourrasque, deux maisons menaçant ruine, ayant déjà fait l’objet d’une décision de démolition, se sont effondrées partiellement mardi soir à Casablanca. Les fortes rafales de vent ont été fatales aux murs frêles de ces constructions vétustes. Heureusement, l’incident n’a fait aucune victime.
Danger passé sous silence
Concernant la teinte orange qui a coloré le ciel cette fameuse journée du mardi 20 octobre, Mohammed Said Karrouk souligne que l’interaction de la poussière avec l’humidité, la chaleur et la lumière peut donner ces couleurs.
«C'est un phénomène optique qui est lié au rayonnement. La lumière qui nous parvient du soleil a traversé des couches de l’atmosphère qui contenaient des particules en suspension ce jour-là. Le rayonnement solaire, occulté par le mur de poussière, a donc subi un phénomène de diffusion en présence des particules poussiéreuses fines. Étant à moitié opaques, ces particules ont absorbé les couleurs à faible longueur d’onde et n’ont laissé transparaître que les teintes qui appartiennent au spectre jaune et orange. Plus l’air est pollué et chargé en particules fines, plus la teinte va être accentuée», décrypte à son tour Mohamed Hanchane pour Sputnik.
Le lendemain de la tempête, l’orange avait disparu du ciel, mais une épaisse couche de poussière avait aussitôt tout recouvert. Ses particules fines ont été transportées dans le nuage dense qui avait déferlé un peu partout sur le pays, rendant l’air difficilement respirable.
Malgré tout, aucune consigne officielle n’a été donnée sur le danger de cette pollution de l’air. Ce silence exaspère Hanchane. Selon cet expert, ce temps poussiéreux dégrade considérablement la qualité de l’atmosphère et peut nuire gravement à la santé.
«Ce phénomène est nocif, surtout pour les personnes qui souffrent de maladies respiratoires comme l’asthme. Dans le contexte pandémique actuel, cette situation peut même aggraver le cas des patients touchés par le coronavirus. La nature de la poussière transportée mardi et son origine témoignent d’une poussière très fine puisqu’elle est d’apparence argilo-sableuse. Inhaler ces particules fines qui pénètrent ensuite dans l’appareil respiratoire expose au risque d’états inflammatoires. Ces poussières sont même responsables de nombreux décès chez les personnes asthmatiques», prévient le spécialiste marocain.
Il y avait donc lieu d’émettre une alerte rouge.