Des milices et des morts, la Côte d’Ivoire au bord du gouffre

La tension est particulièrement vive en Côte d’Ivoire, à moins de dix jours d’une élection présidentielle dont l’opposition demande instamment le report. Dans plusieurs villes du pays, des heurts ont occasionné des morts et de nombreux blessés. Une situation qui fait craindre un conflit meurtrier similaire à celui de 2011, voire une guerre civile.
Sputnik

Avec les mots d’ordre de désobéissance civile et de boycott de la campagne électorale lancés par l’opposition, la Côte d’Ivoire est plus que jamais en ébullition. Le pays semble basculer chaque jour un peu plus vers un nouveau conflit armé, de l’ampleur de la crise postélectorale de 2010-2011 qui avait, selon des chiffres officiels, occasionné plus de 3.000 morts. En cause, la candidature controversée du Président sortant, Alassane Ouattara, pour un troisième mandat, et la «partialité» des institutions chargées de superviser et de valider le vote.

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Tant l’opposition que des organisations de la société civile sont unanimes sur la nécessité d’un report de la présidentielle, prévue le 31 octobre, et la tenue d’un dialogue avec le pouvoir –impérativement sous la supervision d’une médiation internationale– afin de garantir un scrutin «crédible, transparent et inclusif».

Pour Samba David, coordonnateur de la Coalition des indignés de Côte d'Ivoire (CICI, société civile) interrogé par Sputnik, «il est souhaitable qu’il y ait un dialogue pré-électoral afin d’éviter d’en arriver à un dialogue post-crise électorale». «Des deux, le premier est de loin le plus facile à mener quand on sait d’avance que le second, qui interviendrait au chevet de nombreux morts, impliquerait beaucoup de rancœurs», a-t-il expliqué.

Des violences meurtrières en cours

Pour espérer obtenir gain de cause à leurs revendications, les partis d’opposition ont notamment appelé leurs militants à «manifester par tous les moyens légaux». Cependant, depuis le 16 octobre, dans plusieurs villes du pays, ces protestations ont dégénéré en de violents affrontements qui ont parfois pris une tournure intercommunautaire. À ce jour, le bilan officiel reste encore à établir mais des sources concordantes de la société civile dénombrent déjà une dizaine de morts et près d’une centaine de blessés.

L’opposition attribue cette escalade de violence à des «miliciens du régime Ouattara convoyés de manière méthodique et organisée dans des localités ciblées pour semer la mort et la désolation avec la complicité passive des forces de défense et de sécurité», d’après Affi N’Guessan, un des leaders de l’opposition.

La connivence entre civils armés et éléments des forces de l’ordre a déjà été relevée par des ONG internationales comme Amnesty International et Crisis Group qui, dans un rapport publié fin septembre, a dénoncé «l’utilisation particulièrement inquiétante de supplétifs par certains segments de l’appareil de sécurité».

«Ces jeunes hommes armés ont été recrutés parmi la petite délinquance abidjanaise pour effrayer ou attaquer, y compris à l’arme blanche, des manifestants de l’opposition», avait précisé Crisis Group dans son rapport.

Samba David, qui a lui-même été victime en septembre d’une agression à l’arme blanche [il a été poignardé à son bureau par des hommes non identifiés, ndlr], raconte: «J'ai été personnellement à Bonoua [ville située à 60 km à l’est d’Abidjan, où un manifestant a été tué par balles le 19 octobre, ndlr] et Dabou [ville à 50 km à l’ouest d’Abidjan, qui a enregistré ces derniers jours au moins sept morts et où un couvre-feu est instauré du 21 au 25 octobre, ndlr]. Le constat est flagrant: il s’agit de groupuscules armés –que nous qualifions de milices à la solde d'Alassane Ouattara, parfois appuyées par les forces de l’ordre– convoyés depuis Abidjan vers des villes de l’intérieur, pour essayer d’intimider les populations, voire semer le chaos. Nous enregistrons actuellement plus d’une dizaine de morts, c’est une situation inacceptable.»

Dans un communiqué du 21 octobre, le gouvernement ivoirien a indiqué qu’à la suite «d’allégations de la présence de forces parallèles sur les lieux des manifestations, des investigations sont en cours en vue de rechercher et interpeller ceux qui commettent personnellement ces actes ainsi que ceux qui incitent à les commettre pour leur faire subir la rigueur des lois pénales».

​Les «microbes» sont des bandes de jeunes ultraviolents qui terrorisent certains quartiers d’Abidjan et que l’opposition présente comme étant instrumentalisés par le pouvoir.

Une guerre civile est-elle possible?

Pour Samba David, on ne peut pas, en dépit des tensions actuelles, «considérer que le spectre de la guerre civile plane sur la Côte d’Ivoire».

«Il ne peut pas y avoir de guerre civile dans ce pays parce que les conditions ne sont pas réunies, le brassage socioculturel ne le permet pas. C'est plutôt le pouvoir en place qui tente de faire croire que cette éventualité pointe à l’horizon pour briser la contestation contre le troisième mandat d’Alassane Ouattara», a déclaré ce leader de la société civile.

Comme en témoignent de nombreuses vidéos publiées sur les réseaux sociaux, les acteurs des affrontements de ces derniers jours étaient équipés le plus souvent de gourdins et d’armes blanches (machettes et couteaux).

Mais lors d’un entretien accordé en mai dernier à Sputnik, Victorien N’Tayé, secrétaire général de la section ivoirienne du Réseau d'action sur les armes légères en Afrique de l'Ouest (Rasalao-CI), évoquant le risque d'un conflit armé en Côte d'Ivoire en 2020, avait souligné la «menace sérieuse» qui pesait sur le pays, à savoir les milliers d’armes légères et de petit calibre (ALPC) en circulation mais que «personne n’est véritablement en mesure de quantifier».

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La prolifération de ces ALPC, avait-il expliqué, résulte en grande partie de la crise militaro-politique des années 2000 au cours de laquelle presque toutes les localités du pays ont connu une circulation d’armes.

«Vu la prolifération et la circulation des armes, la fin justifiant les moyens, les uns et les autres peuvent à tout moment s’en servir pour en découdre», avait prévenu Victorien N’Tayé.

Le 14 septembre dernier, le Conseil constitutionnel a rejeté 40 dossiers de candidature pour la présidentielle du 31 octobre (dont ceux de l’ancien chef d’État Laurent Gbagbo et de l’ex-Premier ministre Guillaume Soro) pour ne retenir que quatre candidats –dont le Président sortant Alassane Ouattara qui brigue un troisième mandat controversé. 

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Depuis, la situation sociopolitique, déjà délétère en Côte d’Ivoire, s’est considérablement dégradée.

En effet, préalablement à tout scrutin, les leaders de l’opposition exigent le retrait de la candidature d’Alassane Ouattara qu’ils jugent «anticonstitutionnelle», la dissolution du Conseil constitutionnel pour le remplacer par une «juridiction véritablement impartiale», la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée d’organiser les élections) «inféodée au parti au pouvoir», l’audit international des listes électorales, la libération de tous les prisonniers politiques, civils et militaires, et le retour sécurisé de tous les exilés.

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